Les Quarante-cinq, vol 1 | Page 5

Alexandre Dumas, père
fois raison;
mais, ajouta-t-il, sans être trop curieux, oserais-je vous demander quel
motif vous soupçonnez à cette mesure?
-- Pardieu! dit un assistant, la crainte qu'ils ont qu'on ne leur mange leur
Salcède.
-- Cap de Bious! dit une voix, triste mangeaille.
Robert Briquet se retourna du côté où venait cette voix dont l'accent lui
indiquait un Gascon renforcé, et il aperçut un jeune homme de vingt ou
vingt-cinq ans, qui appuyait sa main sur la croupe du cheval de celui
qui lui avait paru le chef des autres.
Le jeune homme était nu-tête; sans doute il avait perdu son chapeau
dans la bagarre.
Maître Briquet paraissait un observateur; mais, en général, ses
observations étaient courtes; aussi détourna-t-il rapidement son regard

du Gascon, qui sans doute lui parut sans importance, pour le ramener
sur le cavalier.
-- Mais, dit-il, puisqu'on annonce que ce Salcède appartient à M. de
Guise, ce n'est déjà point un si mauvais ragoût.
-- Bah! on dit cela? reprit le Gascon curieux ouvrant de grandes
oreilles.
-- Oui, sans doute, on dit cela, on dit cela, répondit le cavalier en
haussant les épaules; mais, par le temps qui court, on dit tant de
sornettes.
-- Ah! ainsi, hasarda Briquet avec son oeil interrogateur et son sourire
narquois, ainsi, vous croyez, monsieur, que Salcède n'est point à M. de
Guise?
-- Non-seulement je le crois, mais j'en suis sûr, répondit le cavalier.
Puis comme il vit que Robert Briquet, en se rapprochant de lui, faisait
un mouvement qui voulait dire: Ah bah! et sur quoi appuyez-vous cette
certitude? il continua:
-- Sans doute, si Salcède eût été au duc, le duc ne l'eût pas laissé
prendre, ou tout au moins ne l'eût pas laissé amener ainsi de Bruxelles à
Paris, pieds et poings liés, sans faire au moins en sa faveur une
tentative d'enlèvement.
-- Une tentative d'enlèvement, reprit Briquet, c'était bien hasardeux; car
enfin, qu'elle réussît ou qu'elle échouât, du moment où elle venait de la
part de M. de Guise, M. de Guise avouait qu'il avait conspiré contre le
duc d'Anjou.
-- M. de Guise, reprit sèchement le cavalier, n'eût point été retenu far
cette considération, j'en suis sûr, et, du moment où il n'a ni réclamé ni
défendu Salcède, c'est que Salcède n'est point à lui.
-- Cependant, excusez si j'insiste, continua Briquet; mais ce n'est pas
moi qui invente; il paraît certain que Salcède a parlé.
-- Où cela? devant les juges?
-- Non, pas devant les juges, monsieur, à la torture.
-- N'est-ce donc pas la même chose? demanda maître Robert Briquet,
d'un air qu'il essayait inutilement de rendre naïf.
-- Non, certes, ce n'est pas la même chose, il s'en faut: d'ailleurs on
prétend qu'il a parlé soit; mais on ne répète point ce qu'il a dit.
-- Vous m'excuserez encore, monsieur, reprit Robert Briquet: on le
répète et très longuement même.

-- Et qu'a-t-il dit? voyons! demanda avec impatience le cavalier; parlez,
vous qui êtes si bien instruit.
-- Je ne me vante pas d'être bien instruit, monsieur, puisque je cherche
au contraire à m'instruire près de vous, répondit Briquet.
-- Voyons! entendons-nous! dit le cavalier avec impatience; vous avez
prétendu qu'on répétait les paroles de Salcède; ses paroles, quelles sont-
elles? dites.
-- Je ne puis répondre, monsieur, que ce soient ses propres paroles, dit
Robert Briquet qui paraissait prendre plaisir à pousser le cavalier.
[Illustration: Le Gascon avait le regard clair et les cheveux jaunes et
crépus. -- PAGE 10.]
-- Mais enfin, quelles sont celles qu'on lui prête?
-- On prétend qu'il a avoué qu'il conspirait pour M. de Guise.
-- Contre le roi de France sans doute? toujours même chanson!
-- Non pas contre Sa Majesté le roi de France, mais bien contre Son
Altesse monseigneur le duc d'Anjou.
-- S'il a avoué cela....
-- Eh bien? demanda Robert Briquet.
-- Eh bien! c'est un misérable, dit le cavalier en fronçant le sourcil.
-- Oui, dit tout bas Robert Briquet; mais s'il a fait ce qu'il a avoué, c'est
un brave homme. Ah! monsieur, les brodequins, l'estrapade et le
coquemar font dire bien des choses aux honnêtes gens.
-- Hélas! vous dites là une grande vérité, monsieur, dit le cavalier en se
radoucissant et en poussant un soupir.
-- Bah! interrompit le Gascon qui, en allongeant la tête dans la direction
de chaque interlocuteur, avait tout entendu, bah! brodequins, estrapade,
coquemar, belle misère que tout cela! Si ce Salcède a parlé, c'est un
coquin, et son patron un autre.
-- Oh! oh! fit le cavalier ne pouvant réprimer un soubresaut
d'impatience, -- vous chantez bien haut, monsieur le Gascon.
-- Moi?
-- Oui, vous.
-- Je chante sur le ton qu'il me plaît, cap de Bious! tant pis pour ceux à
qui mon chant ne plaît pas.
Le
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