et trouvait
moyen de manger royalement à Mâcon ses six cent mille livres de
revenu avec ses équipages, ses violons et ses chasses, le reste n'était
guère que bourgeois enrichis, vivant de la terre, et indifférents à la
politique.
La famille de Lamartine en est d'ailleurs le meilleur exemple: à la fin
du XVIIIe siècle, ses membres établis dans la région depuis plus de
trois cents ans s'étaient lentement élevés des plus infimes fonctions aux
plus hautes charges, et les transformations subies par le nom
patronymique sont le meilleur témoignage de cette évolution commune
à la majorité des familles de la région.
C'est ainsi qu'au milieu du XVIe siècle le chef de la famille était
humble tanneur à Cluny; son fils, plus tard, fut un bourgeois influent de
la ville et, à ce titre, chargé de présenter aux États du Mâconnais les
revendications du tiers; et tous signaient Alamartine. Au début du
XVIIe siècle, son petit-fils remplissait les importantes fonctions de
juge-mage et capitaine de l'abbaye de Cluny; quelques années après, il
acquit la noblesse--noblesse de robe--par l'achat d'une charge de
secrétaire du roi puis, par une ascension toute naturelle, ses fils
acquirent des terres nobles, prirent l'épée, et virent alors s'ouvrir devant
eux les chambres de la noblesse aux États de Bourgogne; le nom devint
de la Martine.
Le poète, pourtant, se montra toujours fort peu soucieux de ses origines;
ses armes, même enregistrées avec tant de soin par son bisaïeul à
l'Armorial général, étaient timbrées par lui d'une façon fantaisiste; alors
qu'à la fin du XVIIe siècle les Lamartine portaient: «de gueule à deux
fasces d'or chargé d'un trèfle de même», il substitua, on ne sait
pourquoi, des bandes aux fasces[5]; question purement esthétique, sans
doute, mais qui prouve à quel point la science héraldique le préoccupait
peu; de même, à ceux qui l'interrogeaient, il répondait invariablement
qu'il descendait «d'une famille noble et catholique du Mâconnais».
[Note 5: Dans l'Armorial général de d'Hozier, établi en 1696, on voit
que les Lamartine portaient: «de gueules à deux fasces d'or,
accompagnées en coeur d'un trèfle de même». La branche cadette de
Montceau «brisait en chef d'un lambel d'argent». Le cachet de
Lamartine, que nous avons pu voir, ne porte pas de lambel, puisque la
branche aînée était éteinte à la fin du XVIIIe siècle, et les «fasces» ont
été remplacées par des «bandes».]
Mais si tous ces petits détails le laissaient indifférent, il n'en allait pas
de même de son grand-père, Louis-François de la Martine qui, fort
entiché de noblesse, fit admettre dans des actes officiels du milieu du
XVIIIe siècle plusieurs généalogies assez inexactes de sa famille[6].
Mais il avait l'excuse de vivre à une époque où les titres décidaient plus
que les mérites. Pour faire admettre ses filles dans des chapitres nobles
et ses fils dans des régiments d'élite, il fut donc contraint de fournir les
titres requis par les statuts. Sa noblesse était incontestable, mais trop
récente; c'est alors que, pour satisfaire aux règlements, il se créa des
ancêtres plus ou moins authentiques. Très inhabilement, d'ailleurs, il fit
subir aux registres paroissiaux des grattages et des lavages chimiques,
rendus parfaitement visibles par le contraste des encres et des écritures,
et il faut croire que les deux gentilshommes chargés de la vérification
des pièces furent tolérants. Partout où cela fut possible, les «chevalier»,
«messire», «noble seigneur» remplacèrent les «maistre»; l'A de
Alamartine se transforma en «de» au moyen de quelques grattages et
l'on profita même de ce qu'un ancêtre avait été marié deux fois pour
donner un quartier de plus à la noblesse familiale.
[Note 6: Il existe, à notre connaissance, au moins trois de ces
généalogies. L'une figure à la Bibliothèque Nationale (Manuscrits,
ancien fonds français) et occupe les pages 1-5 du vol. 790 de la
collection Moreau (t. XXXIII de l'ancien recueil Fontette). Elle a été
publiée par nous dans la Revue des Annales romantiques, fasc. V de
l'année 1905. La seconde figure au ministère de la Guerre. La troisième
se trouve aux Archives de Saône-et-Loire, et a été publiée par M.
Reyssié: la Jeunesse de Lamartine, in-18, 1892, p. 9.]
Néanmoins, malgré ces falsifications plus courantes à l'époque qu'on ne
le croit ordinairement, il est possible de reconstituer la généalogie
exacte de la famille de Lamartine, à l'aide d'autres documents tels que
les registres du bailliage, ceux-là authentiques, et d'une autorité
incontestable.
Au début du XVIe siècle, les Alamartine vinrent s'établir à Cluny, sur
les dépendances de la célèbre abbaye qui faisait vivre toute une
population, et où le premier d'entre eux dont on trouve mention vivait
en 1550, exerçant la modeste profession de tanneur cordonnier. Avec
son prénom--Benoît--c'est là tout ce qu'on sait de lui, mais ses enfants
nous sont un peu mieux connus [7].
[Note 7: M. Abel Jeandet (Annales de l'Académie de Mâcon, 2e
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