rugissant; il réveilla ainsi le second
gardien qui était couché sur une dalle en marbre; celui-ci me pria
d'approcher sans crainte. Il chassa le lion, prit la lettre que lui je tendis
en tremblant et me dit en s'inclinant profondément: «Bienvenu en Dieu
soit l'homme que je désirais voir depuis longtemps». Ensuite il me
présenta un insigne et me demanda si je pouvais l'échanger. Comme je
ne possédais plus rien que mon sel, je lui offris et il accepta en me
remerciant. Cet insigne ne portait encore que deux lettres: S. M. [Studio
merentis; Sal memor; Sponso mittendus; Sal mineralis; Sal menstrualis:
Désir de mériter; Sel du souvenir; Produit par le fiancé; Sel minéral;
Sel des menstrues.]
Comme je m'apprêtais à converser avec lui également, on sonna dans le
château; alors le gardien me pressa de courir de toute la vitesse de mes
jambes, sinon tout mon travail et mes efforts seraient vains car on
commençait déjà à éteindre toutes les lumières en haut. Je me mis
immédiatement à courir, sans saluer le gardien car je craignais d'arriver
trop tard, non sans raison.
En effet, quelque rapide que fût ma course, la vierge me rejoignait déjà
et derrière elle on éteignait toutes les lumières. Et je n'aurais pu rester
dans le bon chemin si elle n'avait fait arriver une lueur de son flambeau
jusqu'à moi. Enfin, poussé par l'angoisse, je parvins à entrer juste
derrière elle; à cet instant même les portes furent refermées si
brusquement que le bas de mon vêtement fut pris; et je dus l'y
abandonner car ni moi ni ceux qui appelaient à ce moment au dehors,
ne pûmes obtenir du gardien de la porte qu'il l'ouvrît de nouveau; il
prétendit avoir remis les clefs à la vierge, qui les aurait emportées dans
la cour.
Je me retournai encore pour examiner la porte; c'était un chef-d'oeuvre
admirable et le monde entier n'en possédait pas une qui l'égalât. A côté
de la porte se dressaient deux colonnes; l'une d'elles portait une statue
souriante, avec l'inscription: CONGRATULATEUR [Congratulor.];
sur l'autre la statue cachait sa figure tristement et au-dessous on lisait:
JE COMPATIS [Condoleo]. En un mot, on voyait des sentences et des
images tellement obscures et mystérieuses que les plus sages de la terre
n'eussent pu les expliquer; mais, pourvu que Dieu le permette, je les
décrirai tous sous peu et je les expliquerai.
En passant sous la porte il m'avait fallu dire mon nom, qui fut inscrit le
dernier sur le parchemin destiné au futur époux. Alors seulement le
véritable insigne de convive me fut donné; il était un peu plus petit que
les autres mais beaucoup plus pesant. Les trois lettres suivantes y
étaient gravées: S.P.N.[Salus per naturam; Sponsi praesentandus
nuptiis: Santé par la nature; offert aux noces du fiancé.]; ensuite on me
chaussa d'une paire de souliers neufs, car le sol entier du château était
dallé de marbre clair. Comme il m'était loisible de donner mes vieux
souliers à l'un des pauvres qui s'asseyaient fréquemment mais très
décemment sous la porte, j'en fis présent à un vieillard.
Quelques instants après, deux pages tenant des flambeaux, me
conduisirent dans une chambrette et me prièrent de me reposer sur un
banc; ce que je fis, tandis qu'ils disposaient les flambeaux dans deux
trous pratiqués dans le sol; puis ils s'en allèrent, me laissant seul.
Tout à coup, j'entendis près de moi un bruit sans cause apparente et
voici que je me sentis saisi par plusieurs hommes à la fois; ne les
voyant pas je fus bien obligé de les laisser agir à leur gré. Je ne tardai
pas à m'apercevoir qu'ils étaient perruquiers; je les priai alors de ne plus
me secouer ainsi et je déclarai que je me prêterais à tout ce qu'ils
voudraient. Ils me rendirent aussitôt la liberté de mes mouvements et
l'un d'eux, tout en restant invisible, me coupa adroitement les cheveux
sur le sommet de la tête; il respecta cependant mes longs cheveux
blanchis par l'âge sur mon front et sur mes tempes.
J'avoue que, de prime abord, je faillis m'évanouir; car je croyais que
Dieu m'avait abandonné à cause de ma témérité au moment où je me
sentis soulevé si irrésistiblement.
Enfin, les perruquiers invisibles ramassèrent soigneusement les
cheveux coupés et les emportèrent; les deux pages revinrent alors et se
mirent à rire de ma frayeur. Mais à peine eurent-ils ouvert la bouche
qu'une petite clochette tinta, pour réunir l'assemblée ainsi qu'on me
l'apprit.
Les pages me précédèrent donc avec leurs flambeaux et me
conduisirent à la grande salle, à travers une infinité de couloirs, de
portes et d'escaliers. Une foule de convives se pressait dans cette salle;
on y voyait des empereurs, des rois, des princes et des seigneurs, des
nobles et des roturiers, des riches et des pauvres et toutes sortes
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