Les Noces Chimiques | Page 6

Christian Rosencreutz
y prendre garde, presque la longueur d'un champ dans cette
direction; je chassai le corbeau et je délivrai la colombe.
A ce moment seulement, je me rendis compte que j'avais agi sans
réflexion; j'étais entré dans une voie qu'il m'était interdit d'abandonner
dorénavant sous peine d'une punition sévère. Je m'en serais consolé si
je n'avais regretté vivement d'avoir laissé ma besace et mon pain au
pied de l'arbre sans pouvoir les reprendre; car dès que je voulais me
retourner, le vent me fouettait avec tant de violence qu'il me jetait
aussitôt à terre; par contre en poursuivant mon chemin je ne sentais
plus la tourmente. Je compris alors que m'opposer au vent, c'était
perdre la vie.
Je me mis donc en route en portant patiemment ma croix, et, comme le
sort en était jeté, je pris la résolution de faire tout mon possible pour
arriver au but avant la nuit. Maintes fausses routes se présentaient
devant moi; mais je les évitai grâce à ma boussole, en refusant de
quitter d'un pas le méridien, malgré que le chemin fût fréquemment si
rude et si peu praticable que je croyais m'être égaré. Tout en cheminant,
je pensais sans cesse à la colombe et au corbeau, sans parvenir à en
comprendre la signification.
Enfin je vis au loin un portail splendide, sur une haute montagne; je m'y
hâtais malgré qu'il fût très, très éloigné de ma route, car le soleil venait
de se cacher derrière les montagnes sans que j'eusse pu apercevoir une
ville au loin. J'attribue cette découverte à Dieu seul qui aurait bien pu
me laisser continuer mon chemin sans m'ouvrir les yeux, car j'aurais pu
le dépasser facilement sans le voir.
Je m'en approchai, dis-je, avec la plus grande hâte et quand j'y parvins
les dernières lueurs du crépuscule me permirent encore d'en distinguer
l'ensemble.
Or c'était un Portail Royal admirable, fouillé de sculptures représentant

des mirages et des objets merveilleux dont plusieurs avaient une
signification particulière, comme je l'ai su plus tard. Tout en haut le
fronton portait ces mots:
LOIN D'ICI, ÉLOIGNEZ-VOUS PROFANES. [Procul hinc, procul ite
prophani]
avec d'autres inscriptions dont on m'a défendu sévèrement de parler.
Au moment où j'arrivai au portail, un inconnu, vêtu d'un habit bleu du
ciel, vint à ma rencontre. Je le saluai amicalement et il me répondit de
même en me demandant aussitôt ma lettre d'invitation. Oh! combien
fus-je joyeux alors de l'avoir emportée avec moi car j'aurais pu l'oublier
aisément, ce qui, d'après lui, était arrivé à d'autres. Je la lui présentai
donc aussitôt; non seulement il s'en montra satisfait, mais à ma grande
surprise, il me dit en s'inclinant: «Venez, cher frère, vous êtes mon hôte
bienvenu». Il me pria ensuite de lui dire mon nom, je lui répondis que
j'étais le frère de la Rose-Croix Rouge, il en témoigna une agréable
surprise. Puis il me demanda: «Mon frère, n'auriez-vous pas apporté de
quoi acheter un insigne?» Je lui répliquai que je n'étais guère fortuné
mais que je lui offrirais volontiers ce qui pourrait lui plaire parmi les
objets en ma possession. Sur sa demande, je lui fis présent de ma fiole
d'eau, et il me donna en échange un insigne en or qui ne portait que ces
deux lettres: S.C. [Sanctitate constantia, Sponsus Charus, Spes
Charitas: Constance par la sainteté; Fiancé par amour; Espoir par la
charité.] Il m'engagea à me souvenir de lui dans le cas où il pourrait
m'être utile. Sur ma question il m'indiqua le nombre des convives
entrés avant moi; enfin, par amitié, il me remit une lettre cachetée pour
le gardien suivant.
Tandis que je m'attardais à causer avec lui, la nuit vint; on alluma sous
la porte un grand falot afin que ceux qui étaient encore en route pussent
se diriger. Or le chemin qui conduisait au château se déroulait entre
deux murs; il était bordé de beaux arbres portant fruits. On avait
suspendu une lanterne à un arbre sur trois de chaque côté de la route et
une belle vierge vêtue d'une robe bleue venait allumer toutes ces
lumières avec une torche merveilleuse; et je m'attardais plus qu'il n'était
sage à admirer ce spectacle d'une beauté parfaite.

Enfin l'entretien prit fin et après avoir reçu les instructions utiles je pris
congé du premier gardien. Tout en cheminant je fus pris du désir de
savoir ce que contenait la lettre; mais comme je ne pouvais croire à une
mauvaise intention du gardien je résistai à la tentation.
J'arrivai ainsi à la deuxième porte qui était presque semblable à la
première; elle n'en différait que par les sculptures et les symboles
secrets. Sur le fronton on lisait:
DONNEZ ET L'ON VOUS DONNERA. [Date et dabitur vobis.]
Un lion féroce, enchaîné sous cette porte, se dressa dès qu'il m'aperçut
et tenta de bondir sur moi en
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