Les Noces Chimiques | Page 4

Christian Rosencreutz
rien.
Mais bientôt elle reprit: «Délivrez donc ceux-ci de leurs chaînes». Cela
fut fait rapidement et l'on me débarrassa presque le dernier. Alors,
quoiqu'ayant observé d'abord la façon de se comporter de mes
compagnons, je ne pus me retenir de m'incliner devant la vieille dame
et de remercier Dieu, qui, par son intermédiaire, avait bien voulu me
transporter de la ténèbre à la lumière, dans sa grâce paternelle. Les
autres suivirent mon exemple et la dame s'inclina.
Enfin chacun reçut comme viatique une médaille, commémorative en
or; elle portait sur l'endroit l'effigie du soleil levant, sur l'envers, si ma
mémoire est fidèle, les trois lettres D. L. S..

[Deus Lux Solis vel Laus Semper: Dieu lumière du Soleil ou A Dieu
louange toujours.]
Puis on nous congédia en nous exhortant à servir notre prochain pour la
louange de Dieu, et à tenir secret ce qui nous avait été confié; nous en
fîmes la promesse et nous nous séparâmes.
Or, je ne pouvais marcher qu'avec difficulté, à cause des blessures
produites par les anneaux qui m'avaient encerclé les pieds et je boîtais
des deux jambes. La vieille dame s'en aperçut, en rit, me rappela et me
dit: «Mon fils, ne t'attriste pas pour cette infirmité, mais souviens-toi de
tes faiblesses et remercie Dieu qui t'a-laissé parvenir à cette lumière
élevée, tandis que tu séjournes encore en ce monde, dans ton
imperfection; supporte ces blessures en souvenir de moi».
A ce moment, les trompettes sonnèrent inopinément; j'en fus tellement
saisi que je m'éveillai. C'est alors seulement que je m'aperçus que
j'avais rêvé. Toutefois, j'avais été si fortement impressionné que ce
songe me préoccupe encore aujourd'hui et qu'il me semble que je sens
encore les plaies de mes pieds.
En tous cas, je compris que Dieu me permettait d'assister aux noces
occultes; je lui en rendis grâce, en sa majesté divine, dans ma foi filiale,
et je le priai de me garder toujours dans sa crainte, de remplir
quotidiennement mon coeur de sagesse et d'intelligence et de me
conduire enfin, par sa grâce, jusqu'au but désiré, malgré mon peu de
mérite.
Puis je me préparai au voyage; je me vêtis de ma robe de lin blanche et
je ceignis un ruban couleur de sang passant sur les épaules et disposé en
croix. J'attachai quatre roses rouges à mon chapeau, espérant que tous
ces signes distinctifs me feraient remarquer plus vite dans la foule.
Comme aliment, je pris du pain, du sel et de l'eau; j'en usai par la suite
dans certains cas, à plusieurs reprises, non sans utilité, en suivant le
conseil d'un sage.
Mais avant de quitter ma caverne, prêt pour le départ et paré de mon
habit nuptial, je me prosternai à genoux et priai Dieu qu'Il permît que

tout ce qui allait advenir fût pour mon bien; puis je Lui fis la promesse
de me servir des révélations qui pourraient m'être faites, non pour
l'honneur et la considération mondaines, mais pour répandre Son nom
et pour l'utilité de mon prochain. Ayant fait ce voeu, je sortis de ma
cellule, plein d'espoir et de joie.

DEUXIÈME JOUR
A peine étais-je entré dans la forêt qu'il me sembla que le ciel entier et
tous les éléments s'étaient déjà parés pour les noces; je crus entendre les
oiseaux chanter plus agréablement et je vis les jeunes cerfs sauter si
joyeusement qu'ils réjouirent mon coeur et l'incitèrent à chanter. Je
chantai donc à haute voix:
Sois joyeux, cher petit oiseau; Pour louer ton créateur Elève ta voix
claire et fine, Ton Dieu est très puissant; Il t'a préparé ta nourriture Et te
la donne juste en temps voulu, Sois satisfait ainsi.
Pourquoi donc serais-tu chagrin, Pourquoi t'irriter contre Dieu De
t'avoir fait petit oiseau? Pourquoi raisonner dans ta petite tête Parce
qu'il ne t'a pas fait homme? Oh! tais-toi, il a profondément médité cela,
Sois satisfait ainsi.
Que ferais-je, pauvre ver de terre Si je voulais discuter avec Dieu?
Chercherais-je à forcer l'entrée du ciel Pour ravir le grand art par
violence? Dieu ne se laisse pas bousculer; Que l'indigne s'abstienne.
Homme, sois satisfait.
S'il ne t'a pas fait empereur N'en soit pas offensé; Tu aurais peut-être
méprisé son nom Et de cela seul il se soucie. Les yeux de Dieu sont
clairvoyants; Il voit au fond de ton coeur Donc tu ne le tromperas pas.
Et mon chant, partant du fond de mon coeur se répandit à travers la
forêt en résonnant de toutes parts. Les montagnes me répétèrent les
dernières paroles au moment où, sortant de la forêt, j'entrais dans une
belle prairie. Sur ce pré s'élançaient trois beaux cèdres dont les larges
rameaux projetaient une ombre superbe. Je voulus en jouir aussitôt car

malgré que je n'eusse pas fait beaucoup de chemin, j'étais accablé par
l'ardeur de mon désir; je courus donc aux
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