avoir élevé les bras en l'air et croisé les mains au-dessus de leurs têtes,
pour annoncer leurs intentions pacifiques. Cependant, malgré cette
déclaration, quelques flèches furent décochées contre eux. Aucune
heureusement ne les atteignit, et ils arrivèrent, sains et saufs, en avant
de la troupe, près d'un homme de haute taille qui montait un bison
blanc, à la crinière épaisse, bouclée, noire comme le jais.
C'était Oli-Tahara ou le Dompteur-de-Buffles, fils d'un
Canadien-Français et d'une Indienne tête-plate, et chef suprême de la
grande tribu des Chinouks, cantonnée le long de la rivière Colombie,
dans l'Amérique septentrionale.
Tandis que ses subordonnés n'avaient pour tout vêtement que la
kalaquarte, court jupon en fibres d'écorces de cèdre, Oli-Tahara portait,
comme Poignet-d'Acier et les chasseurs blancs du Nord-Ouest, une
tunique en peau de bête fauve brodée avec des piquants de porc-épic,
des mitas ou jambières en cuir d'orignal et des mocassins, sur lesquels
étaient figurées de véritables mosaïques en verroterie ou ouampums.
Il avait la tête nue, les cheveux redressés comme un panache et plantés,
depuis le sommet du front, jusqu'au-dessous de la nuque, de plumes
d'aigle, emblème de sa dignité.
Des pistolets d'arçon pendaient à sa ceinture; sur son dos se balançait
une longue carabine à la crosse enrubannée et garnie de plumes de
colibris. Dans sa main droite il faisait tournoyer un lourd tomahawk en
forme de croissant, fixé à son poignet par un cordeau de ouatap et armé
à son centre d'un fer de lance gros, court, et tranchant. Sa main gauche
tenait un calumet dont le tuyau était entouré de deux peaux de serpent
entrelacées et le fourneau en talc vert, décoré d'hiéroglyphes.
Pour diriger son buffle, qu'il manégeait du reste à merveille, il n'avait
d'autre aide que ses jambes.
--Sois le bien venu, mon frère, dit-il en, présentant, son calumet au
capitaine.
Poignet-d'Acier prit la pipe, tira trois bouffées qu'il exhala vers le soleil
levant et la rendit au métis.
Celui-ci l'aspira trois fois à son tour, chassa la vapeur dans la même
direction, et, sans mot dire, offrit le calumet à Nick Whiffles. Le
trappeur l'accepta, poussa trois fois aussi de la fumée à l'est et remit
l'instrument à Oli-Tahara.
Désormais les deux chasseurs étaient sacrés pour toute la bande
chinouks.
--Bien des lunes se sont écoulées, la neige a blanchi la terre et la
verdure l'a rhabillée depuis que le Dompteur-de-Buffles n'a vu son frère,
le grand chef blanc, dit le Bois-Brûlé [4] en tendant la main à
Poignet-d'Acier.
[Note 4: Nom que les Canadiens-Français ont donné aux métis à cause
de la couleur de leur peau.]
--Oui, répliqua ce dernier, je ne l'ai pas rencontré aussi souvent que je
l'aurais voulu, car je t'estime; tu es brave, tu es habile, tu es digne de
commander la noble tribu des Chinouks.
Cette adroite flatterie eut tout le succès qu'en attendait le capitaine.
Oli-Tahara, les narines gonflées, l'oeil étincelant de plaisir, tourna la
tête vers les guerriers pour voir l'effet qu'avait produit sur eux le
compliment de Poignet-d'Acier, réputé dans tout le désert américain, de
la baie d'Hudson au Pacifique, et des Grands-Lacs jusqu'au mont
Saint-Elias, limite des possessions russes, comme le plus intrépide
voyageur qui eût jamais parcouru ces immenses solitudes.
--J'ai besoin de tes services, mon frère, reprit aussitôt le capitaine.
--Je te les donnerai volontiers dès que je serai de retour d'une
expédition que les vaillants chinouks ont entreprise contre les
Nez-Percés, ces lâches fils d'esclaves qui ont envahi et dévasté nos
loges, alors que nous étions allés faire la récolte des racines de
ouappatous.
--C'est précisément, au sujet des Nez-Percés que je réclame ton
concours.
--Oui bien, je le jure, votre serviteur! appuya Nick, qui s'impatientait du
silence forcé auquel l'obligeaient ces préliminaires.
--Que mon frère parle; l'oreille d'Oli-Tahara est ouverte à ses discours,
dit tranquillement le métis.
--Les Nez-Percés, répliqua Poignet-d'Acier, ont attaqué un navire qui
m'appartient. Ils ont égorgé ou réduit en captivité mes gens, et, en ce
moment, enivrés d'eau-de-feu, ils dansent et chantent sur le pont du
vaisseau.
--Où est ta maison de bois flottante? demanda le Dompteur-de-Buffles
avec un calme inaltéré.
--A deux mille pas d'ici.
--Les Nez-Percés sont-ils nombreux?
--Plus de deux fois cent.
--Et ils ont des canots?
--Oui.
--Que mon frère attende, dit le métis. Oli-Tahara va tenir un conseil
avec les chefs des valeureux Chinouks.
Il s'éloigna, rassembla autour de lui quelques Indiens, délibéra avec eux
pendant cinq minutes et revint près des chasseurs blancs.
--Mon frère, dit-il à Poignet-d'Acier, tu marcheras avec moi.
Ayant dit, il sauta à terre et son buffle se mit paisiblement à brouter
l'herbe.
Cependant les Peaux-Rouges se formèrent en trois détachements: l'un
retourna sur ses pas, un autre continua d'avancer dans le ravin; le
dernier, sous les ordres d'Oli-Tahara, et guidé par Poignet-d'Acier,
monta la côte en prenant l'esplanade pour but de
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