enjoué qui battait des ailes, comme pour applaudir à
cette vision. Elle voulut saisir ces ailes toutes d'or et de pourpre; elle se
mit à courir comme une écolière à travers les massifs et les branches.
Sa chevelure, à peine nouée, s'envola sur ses épaulés et lui voila les
yeux. Sa robe, battue par le vent, s'accrochait à tous les rosiers. Vingt
fois elle fut sur le point de saisir le papillon, qui semblait comprendre le
jeu et qui voulait secouer un peu de la poussière d'or de ses ailes sur
cette main virginale.
Elle poussa un cri qui traversa comme une flèche le coeur de Georges;
elle avait déchiré sa main à un rosier; le sang coulait comme des perles
de vin. Elle se mit à rire pour oublier de pleurer; elle saisit une rose
blanche et la teignit de pourpre comme autrefois Vénus chassant avec
les Heures.
Elle avait oublié le papillon; elle cueillit des marguerites, elle les
éparpilla dans ses cheveux et regarda dans l'étang pour voir si elle était
plus belle avec des fleurs.
Je ne saurais raconter les mille et une folâtreries dont elle égaya sa
méditation. Georges du Quesnoy était toujours à la grille. Il y serait
encore si un hennissement de son cheval n'eût effrayé la jeune fille. Dès
qu'elle se vit surprise en sa solitude, elle s'envola comme une colombe
à travers les ramées. Georges du Quesnoy ne vit plus que les branches
émues qu'elle avait touchées au passage.
Il remonta à cheval, bien décidé à venir tous les soirs se promener dans
ce parc enchanté.
Comme il éperonnait son cheval pour arriver chez son père à l'heure du
dîner:
«Prenez donc garde, lui dit une paysanne ensevelie sous une moisson
d'herbe fraîchement coupée, vous allez me jeter dans le ruisseau.
--Je ne vous avais pas vue.
--Où avez-vous donc les yeux? Ne dirait-on pas que je suis une fourmi
portant un brin de paille à sa fourmilière!
--A qui appartient ce château?
--A la Belle au bois dormant.
--Est-ce cette jeune fille que je voyais tout à l'heure vêtue de blanc
comme une communiante?»
La paysanne regarda Georges du Quesnoy d'un air moqueur.
«Êtes-vous visionnaire?
--J'ai vu une jeune fille courant après des roses et des papillons.
--C'est un conte. M. de Margival et sa fille sont en pèlerinage à
Notre-Dame-de-Liesse. Il n'y a pas au château âme qui vive à cette
heure.»
Georges du Quesnoy n'en voulait rien croire. Il partit au galop, bien
décidé à revenir le lendemain pour revoir cette belle fille aux cheveux
flottants, Ève idéale de ce paradis terrestre.
II
TOUT ET RIEN
Quand Georges rentra à Landouzy-les-Vignes, il rencontra son frère qui
cueillait des rimes aux buissons.
«C'est moi, lui dit-il, qui ai eu une vision poétique.»
Et il conta à Pierre comment une jeune fille, une rêverie idéale en robe
blanche lui était apparue dans le parc du château de Margival.
«C'est la préface de l'amour, lui dit Pierre. Mais moi qui suis poëte, je
vais t'expliquer en prose l'énigme de cette apparition. Mlle de Margival
est arrivée depuis quelques jours au château avec son père; elle a
dix-huit ans et elle a les dix-huit beautés voulues par le peintre et le
sculpteur...
--Allons, tu vas commencer par divaguer.
--C'est toi qui divagues; parce que tu vois une jeune fille en robe
blanche, te voilà rêvant à une apparition magique.
--Tu as peut-être raison, je ne suis qu'un visionnaire.»
Et Georges du Quesnoy, qui n'y avait pas songé, chercha à se prouver
que la jeune fille en blanc, c'était Mlle de Margival.
Mais voilà que tout à coup, et comme pour jeter le trouble dans son
esprit, une calèche à deux chevaux passa devant les deux frères,
emportant vers le château M. de Margival et sa fille.
«Tu vois bien que ce n'était pas elle.»
Les paysans, qui s'étaient arrêtés pour voir passer ce qu'ils appelaient le
carrosse, apprirent à Georges que M. et Mlle de Margival venaient du
château de Marchais où ils avaient déjeuné chez le prince de Monaco,
tout en faisant un pèlerinage à Notre-Dame-de-Liesse.
«Cette fois, dit Pierre à son frère, je n'y suis plus du tout, à moins qu'il
n'y ait au château quelque cousine inconnue, promenant sa robe
blanche.»
Mais les mêmes paysans qui étaient les moissonneurs et les
vendangeurs de M. de Margival, affirmèrent que, hormis le père et la
fille, il n'y avait pas âme qui vive, sinon une cuisinière grosse comme
un tonneau et une femme de chambre grande comme un moulin.
Les jeunes gens finirent par parler d'autre chose, ils allèrent retrouver
leur père, qui les attendait pour dîner. Au dessert, après avoir parlé de
ceci et de cela, après avoir mangé beaucoup de ces belles cerises du
pays qui valent bien mieux que les cerises de
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.