Montmorency, M. du
Quesnoy leur dit:
«Eh bien, messieurs mes fils, maintenant que vous voilà tous les deux
bacheliers ès lettres, il faut vous décider à devenir des hommes; que
ferez-vous?
--Rien, dit Pierre.
--Tout, dit Georges.»
III
IL ÉTAIT UNE FOIS...
A quelque temps de là, Georges du Quesnoy alla passer la soirée au
château de Sancy-Lépinay.
Ce n'était pas sans une certaine émotion qu'il se hasardait dans sa
vingtième année vers un monde nouveau. Quoiqu'il ne fût pas timide
jusqu'à la bêtise,--c'est souvent la timidité des gens les plus spirituels--il
avait peur de lui, il se demandait s'il trouverait quatre mots à dire dans
ce beau monde, familiarisé avec toutes les impertinences, car la
comtesse de Sancy avait depuis huit jours, dans son château, ces
messieurs et ces dames, qui sont le tout Paris de l'Opéra et des courses.
Georges du Quesnoy avait longtemps hésité à affronter le feu. C'était
son premier duel avec la vie; il résolut d'être brave et de sourire au
premier sang, car il ne doutait pas qu'il ne fût le point de mire de
beaucoup de railleries plus ou moins directes: les Parisiens sont des
francs-maçons qui font toujours subir une rude entrée aux provinciaux.
«Après tout, disait Georges, ils ne me mangeront pas.»
Il savait bien, d'ailleurs, qu'il n'était pas plus bête qu'un autre. Il avait eu
le prix d'excellence au collège de Soissons,--ce qui n'était pas une
raison, puisque le génie n'a pas souvent de présence d'esprit,--mais en
outre ses camarades lui accordaient une certaine éloquence
humouristique. Ce n'était certes ni l'humour de Sterne, ni de Hogarth, ni
de Heine, ni de Stendhal. On ne revient pas si jeune de Corinthe. Mais
il y avait toujours du charme dans sa causerie, parce que la gaieté y
jaillissait des questions plus graves.
Il était moins content de son habillement que de son esprit, car après
tout on peut apprendre à lire Homère et Platon à Soissons comme à
Paris, mais les tailleurs de Soissons n'ont pas encore le coup de ciseau
des tailleurs de Paris. Il avait eu beau s'étudier devant son miroir, en se
donnant des airs de désinvolture; il avait eu beau se coiffer à la dernière
mode; il avait eu beau se relever la moustache: il y avait encore en lui
je ne sais quoi de soissonnais qui marquait trop le terroir.
Heureusement il ne se jugeait pas; il était trop habitué à lui-même pour
se critiquer à propos; il trouvait même que son père et sa mère n'avaient
pas trop mal travaillé, car j'oubliais de dire qu'il avait une belle tête,
peut-être un peu féminine, à force de jeunesse, mais qui promettait de
prendre du caractère. Le profil était même d'un dessin sévère, mais
l'oeil bleu de pervenche était trop doux. On eût dit des yeux d'hiver ou
tout au plus de printemps, car ils ne jetaient pas de flammes vives;
peut-être le volcan dormait-il sous la neige, peut-être la passion
devait-elle allumer ces yeux-là.
Georges du Quesnoy n'était pas trop mal chaussé; aussi, dès son entrée
dans le salon du château, la comtesse dit-elle à une des ses amies:
«N'est-ce pas qu'il a de jolis pieds pour des pieds de province?»
Quand un domestique dit son nom à la porte, il se sentit pâlir et
chanceler, il salua à droite et à gauche sans savoir son chemin. Il alla
trébucher contre un coussin et donna de la tête sur l'éventail de la jolie
Mme de Fromentel, qui dit tout haut à une de ses amies: «Ce jeune
homme est terrible, un peu plus il m'arrivait en pleine poitrine.»
Georges du Quesnoy était revenu à lui à ce point qu'il hasarda ces
paroles: «Je ne me serais pas cassé la tête, madame.» Mme de
Fromentel ne savait si elle devait rougir ou se fâcher.
«Voyez-vous, monsieur, lui dit-elle avec une pointe d'impertinence,
c'est parce que vous n'y voyez pas avec votre lorgnon dans l'oeil.»
--C'est parce que j'avais peur d'être ébloui, madame.»
On disait la bonne aventure au voisinage, non pas avec les cartes ni
avec le marc de café, mais en lisant dans les mains:
«Vous n'y entendez rien, dit tout à coup la maîtresse de la maison à la
sibylle. Monsieur du Quesnoy, savez-vous prédire l'avenir en lisant
dans les mains?
--Puisque je sors du collège, je sais tout, dit Georges, en s'efforçant de
sourire.
--Eh bien, vous allez commencer par moi.»
Georges du Quesnoy commença bien: la dame avait trente ans passés;
or, en lui prenant la main, voilà quelles furent ses premières paroles:
«Madame la comtesse, quand vous aurez vingt-huit ans, vous
traverserez des périls sans nombre!» Jusque-là tout le monde avait
regardé le nouveau venu avec le froid dédain des gens qui sont au
spectacle de la bêtise humaine. On s'était quelque peu mis
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