Les Mains Pleines de Rose, Pleines dOr et Pleines de Sang | Page 4

Arsène Houssaye
Voilà le charme et l'attrait de ces études: c'est du pur
Balzac, mais du Balzac sans voiles et sans embûches, disant toutes
choses hardiment, et jamais lassé dans ses révélations.
Cette fois, par quel travail, quel mystère et quelle infatigable
interprétation des vices les plus cachés, le conteur infatigable est
parvenu à composer ces douze volumes incomparables? Nous ne
saurions le dire. Il a fallu rompre absolument et le même jour avec ses
petits livres accoutumés, les Charmettes, par exemple. Loin d'ici, mes
élégies! loin de moi mes frêles chansons! J'ai fermé pour jamais ce petit
monde oisif, galant et dameret qui m'a suffi vingt années. Il me faut

désormais de grandes héroïnes, des passions illustres, et quelqu'une de
ces nudités fameuses que le monde entoure à plaisir de ses haines et de
ses adorations. Telle était l'oeuvre ardue, et voilà par quel sacrifice il a
forcé la porte obstinée et pourtant hospitalière de ces grands boudoirs et
de l'Hôtel du Plaisir, mesdames.
Une fois dans ces fameux romans de sa deuxième manière, soyez en
repos, vous trouverez toutes les palpitations imaginables. L'homme est
savant dans toutes les intrigues du hasard et dans toutes les choses de
l'amour. Autant que les plus grands artistes il excelle à parer et à
scalper ces dames précieuses. Il sait qui donc les habille, et qui donc
dénoue ces beaux cheveux tordus sur ces nuques vaillantes. Il vous dira
le nom de tous les amants de ces magiciennes, pour qui l'amour, la
passion et la volupté n'ont plus de secrets. La femme ainsi aimée et
parfumée en vain ne veut pas qu'on la suive: on la suit. Des mains
invisibles vous poussent à cet abîme. Il sait aussi le nom de toutes les
pierres précieuses, et celles qui conviennent le mieux à la beauté, parée
à son plaisir. Même, après avoir décrit le carrosse où la dame se
promène, il vous dira le nom de la dame. Il sait où la prendre et dans
quel hôtel, entre cour et jardin, il retrouvera cette pestiférée, et notez
bien qu'il n'est point amoureux de ces miracles de beauté et de ces
beautés d'occasion. Au contraire, on dirait qu'il les raille et qu'il les hait,
tant il les a bien vues. Harpies! la honte et le chagrin de tant d'honnêtes
gens. Ces douze volumes sont remplis de leurs mensonges et de leurs
trahisons vus par un sceptique, mais un sceptique qui a ses quarts
d'heure de pardon.
Pour comble d'ironie, il ne va pas enfermer dans un méchant tome, en
vil papier, ces trouvailles de son esprit et de sa souvenance; au contraire,
il veut les publier superbes, sur un papier fait pour les grands poëtes, et
que chaque dame, ici présente, apparaisse dans sa grâce et dans sa
beauté. Voyez plutôt, dans ces deux tomes de la Femme fusillée,
Blanche de Volnay et Mlle Angeline Duportail, l'une armée d'un
couteau à la façon de Charlotte Corday, l'autre à la poitrine sans voile,
aux bras nus, et d'une beauté irrésistible. Ce sont là ses armes de
combat. Et maintenant que, par un si long détour, j'arrive à cette
publication dernière, accordez-moi la permission d'en parler tout à mon

aise et longuement.
Ce nouveau livre en deux volumes non moins splendides que les autres
études de moeurs parisiennes, est intitulé: Le Chien perdu et la Femme
fusillée, en souvenir d'un petit livre écrit deux ans avant la révolution
de Juillet: L'Ane mort et la Femme guillotinée... On a plus tard effacé le
second titre, et ce n'est plus que l'Ane mort... Je puis parler de ce livre,
autrefois célèbre, oublié de nos jours [Note: Oublié! L'Ane mort et la
Femme guillotinée est un des chefs-d'oeuvre de l'école romantique.
Tout en voulant railler la littérature de sang, Jules Janin a créé des
figures vivantes: la nature a vaincu le critique.]. C'était l'oeuvre
hésitante d'un nouveau venu dans les lettres, qui ne se doutait pas que
cette histoire le jetterait, irrévocablement, dans la vie littéraire.
L'âne et la fillette, héros de ces pages timorées, sont nés dans le même
village, et l'âne et la jeune fille accomplissent le même voyage, jusqu'au
moment où celui-ci est traîné à la barrière du Combat, où celle-là est
menée à l'échafaud. C'était un récit très-simple et très-exact. On voyait
que la fillette et la bête avaient vécu, mais nulle parure, et rien pour
arrêter le lecteur. Cela était presque naïf et faisait si peu de bruit!
Seulement l'écrivain, très-jeune encore, avait tenté de montrer comment,
dans un style élégant et châtié, l'on pouvait décrire à l'usage des
honnêtes gens les lieux les plus corrompus de la grande ville, à savoir
la Bourbe et la Morgue, et le lupanar abominable, et le bourreau, qui
n'était pas encore un personnage. Il y avait même un certain baiser à
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 72
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.