la
guillotine que nous trouvions charmant en ce temps-là. Le livre, à peine
publié, fut proclamé comme une chose bien faite. Il trouva, pour ses
premiers répondants, M. de Salvandy, jeune homme, et M. Victor Hugo,
dans toute la jeunesse et l'indulgence d'un grand écrivain qui était la
fête et l'amour du public.
Je crois bien que M. Sainte-Beuve eut quelque souci du livre nouveau;
mais il s'en repentit, comme a fait plus tard George Sand, effaçant de
ses pages le titre du livre et le nom de l'auteur. Cependant l'Ane mort a
fait son chemin; on l'a mis en tableau, en gravure, en mauvais drame, et
l'illustration de ce petit conte fut le dernier travail de Tony Johannot.
D'autres livres sont venus plus tard qui ne devaient pas le laisser vivre.
On ne va pas à l'Ane mort quand on peut lire Eugénie Grandet et
Notre-Dame de Paris. Mais quoi! peu de lecteurs suffisent à l'homme
sensé: Contentus paucis lectoribus, disait Horace, et l'auteur de l'Ane
mort, après quelques tentatives pour arriver à son premier succès, finit
par traduire Horace et ne trouva pas de concurrents. Il a fait plus tard un
livre assez considérable: la Fin d'un Monde et du Neveu de Rameau,
dont la première édition--ô surprise!--est épuisée au bout de cinq ans,
sans que l'auteur ait pu se plaindre de la critique ni de la curiosité de ses
contemporains.
C'est donc en souvenir de l'Ane mort et la Femme guillotinée que M.
Arsène Houssaye lui dédia: Le Chien perdu et la Femme fusillée. Or,
cette fois, vous pourrez juger à quel point de réalisme, et, disons mieux,
de vérité, l'illustre écrivain a poussé les qualités par lesquelles il est
parvenu à composer les Grandes Dames, les Parisiennes et les
Courtisanes du monde. Il a choisi pour son texte: les Epouvantements
et les Abîmes, c'est-à-dire les derniers jours de l'infâme Commune. Il la
connaît par coeur, il la connaît aussi bien qu'il connaît le grand monde
et le demi-monde; et quand vous aurez lu ces deux tomes des abîmes et
des épouvantements, ne vous étonnez pas que vous sachiez toute cette
histoire. Ah! voilà bien cette autre fin d'un monde au milieu des
flammes et des égorgements!
Il y avait, en ce temps-là, un franc-tireur qui sauvait un chien d'une
mort certaine; il s'appelait Ducharme; il était amoureux d'une certaine
Virginie Duportail, qui lui rendait amour pour amour, mais aussi
trahison pour trahison. Elle riait quand elle avait bien trompé un
amoureux de sa beauté; elle était mêlée à ces histoires de Belleville et
de l'Hôtel de ville. S'il y avait une barricade, elle abordait la barricade
avec du vin de Champagne. Enfin, s'il était terrible, elle était violente.
Elle vivait avec ce qu'il y avait de pire à Paris, et l'auteur ne se gêne pas
pour les hommes, disant: «Celui-ci est un Spartiate et celui-là est un
Athénien de barrière!» Entre tous ces jeunes gens il y avait ce beau
chien nommé Thermidor, très-bien venu des bataillons de Montmartre,
de Montrouge et de Ménilmontant.
Thermidor est une bête plus intéressante, et plus aimable que l'Ane
mort. Il gambade autour de ces terroristes, Raoul Rigault et Gustave
Flourens! Pauvre Flourens! je l'ai connu beaucoup, moi qui vous parle;
il était simple et bon. Il serait resté tout un jour assis dans le même
fauteuil et rêvant, Dieu sait à quoi! Nous avons aussi, à coté du chien
Thermidor, le citoyen Carnaval, qui nous fait rire, et puis Mlle de
Volnay, qui se tue à la grande façon romaine, à la façon de Lucrèce, et
qui n'en meurt pas! Bref, dès les premières pages, tout se mêle et se
confond dans ce récit, qui est déjà le récit d'un autre monde.
Avant l'heure où les soldats de Versailles s'emparent de Paris et
viennent à bout de la Commune, le peintre excelle à nous montrer les
communards dans leur désordre et dans leur désastre. Ici Jules Vallès
apostrophant Courbet; plus loin Dacosta tendant son verre à Théophile
Ferré. On ne boit plus dans tout Paris que du vin de Champagne,
hormis du vin bleu; on n'entend plus que les échos de la Marseillaise,
et nous avons vu le moment où l'on allait représenter l'oeuvre nouvelle
de M. Pyat. Mais sa prudence a pressenti l'orage; il avait peur d'être
sifflé--et fusillé! Et tout ce monde en même temps piaule et rugit, et
chante, et crie. Il y en a qui s'enivrent, d'autres qui se cachent, plusieurs
font l'amour, plusieurs s'en vont à Versailles à une partie où les
comédiennes déclament des vers de Théophile Gautier. Les demoiselles
perdent des discrétions, les dames perdent leur mouchoir, les
vivandières gagnent des fédérés, les honnêtes femmes se cachent et font
de la charpie. Le colonel Rossel, le général Dombrowski, M. de
Rochefort, règnent et gouvernent.
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.