Les Mains Pleines de Rose, Pleines dOr et Pleines de Sang | Page 3

Arsène Houssaye
pour reprendre avec joie
une plume fidèle et bien taillée.
Ainsi, il mit au jour ces livres charmants le Roi Voltaire et le Quarante
et unième Fauteuil, dont il écrivait l'histoire avec quarante plumes
différentes. On voyait qu'avant d'écrire ces beaux livres, il avait
traversé la grande poésie; il en avait gardé le souffle et le parfum.
Heureux chez nous l'esprit libre et en gaieté de coeur, qui se transforme,
et glorifions, ô mes amis, l'imagination facile qui sait prendre à propos
toutes les formes, toutes les grâces, j'ai presque dit toutes les vertus.
Qui veut écrire et durer longtemps dans l'esprit et dans l'imagination du
lecteur, aura grand soin de varier la peine et le plaisir des gens restés
fidèles à cette intime lecture. Il a sous les yeux de grands exemples, à

commencer par le Roi Voltaire. Et quel homme, en ce bas monde, plus
que Voltaire, fut jamais plus changeant et plus divers? Il a tout tenté, et
toujours il a triomphé de l'obstacle. Et du théâtre à la philosophie, et du
conte en vers au conte en prose, et même, ô malheur de tant réussir! du
poëme épique aux légers poëmes, où le sourire arrive avec toutes les
palpitations; et de l'histoire à la critique, et même du léger billet avec
lequel on finit par composer de très-gros tomes; et de la comédie à la
tragédie, et de la pitié à l'enchantement, ce roi Voltaire a réussi en
toutes choses. Il était la grâce et la censure, l'élégie et la chanson, le
charme enfin, le vrai charme, et le genre humain, ébloui de toutes ces
merveilles, se demandait s'il n'était pas le jouet d'un rêve. Heureux
changement! ces révolutions du bel esprit, roulant à l'infini dans un
cercle qu'il s'est tracé à lui-même, et dont il sait par coeur tous les
détours.
L'auteur du Quarante et unième Fauteuil comprit bien celui-là qui eût
rempli, à lui seul, tous les fauteuils; cet homme qui fut à la fois le juge
et l'avocat de son siècle.
Aussi quand il eut payé son tribut à l'esprit vif et souriant qui l'entourait,
Arsène Houssaye, un beau jour, se mit à raconter, dans un grand livre
intitulé la Comédie parisienne, une suite infinie, imprévue, énorme, des
plus terribles accidents.
Il divisait ce livre en trois séries, à savoir: les Grandes Dames,--les
Parisiennes,--les Courtisanes du monde, c'est-à-dire douze gros tomes
in-octavo, que nous avons lus avec stupeur, très-étonné que le même
écrivain qui tournait d'une façon si légère autour des plus graves
questions, maintenant qu'il était délivré de ces belles jeunes filles
innocentes qui conservaient encore l'aspect et le parfum de leur village,
entreprît, dans une suite de drames impitoyables, de dévoiler ces
courtisanes cachées sous le manteau des duchesses, et ces duchesses
qui portaient insolemment le voile obscène des courtisanes: Titulum
mentitae Lysicae, disait Juvénal; et véritablement nous savons, grâce à
ces livres, les monstres hideux et charmants qui se cachent sous ces
noms-là: Mme Vénus, Mme Phryné, la Messaline blonde, la
Chanoinesse rousse, la Marquise Danaé et l'adorable Violette, et cent et

une autres. Il les connaît toutes, il sait leur vrai nom, et comment elles
sont tombées, et par quel miracle la femme déchue est devenue une
grande dame, et qu'il ne faut pas prendre au sérieux les cheveux blonds
de Messaline, pas plus que les cheveux noirs de sa soeur.
Ah! mon Dieu, quelle suite incroyable de déguisements et d'aventures,
de mensonges et de perfidies, et comment toutes ces femmes adultères
ne sont plus que des femmes tarées! C'est ainsi dans ce charmant livre
intitulé la Bohème, écrit par un bohémien, nous avons vu la petite Mimi:
qui, parfois, à la fin du trimestre, aux modes nouvelles, s'en allait
chercher les robes et les manteaux de ce matin. Elle partait nue, ou peu
s'en faut, et s'en revenait, huit jours après, vêtue de soie et de velours,
parée de chaînes et de dentelles, la soie aux souliers, le diamant à la
jarretière, et les bras chargés de bracelets. C'est très-vrai, la petite Mimi
était une marquise, et ses grands dégingandés sentaient redoubler, aux
fanfioles de ses toilettes, leur admiration pour Mimi.
Dans ces livres si curieux d'Arsène Houssaye, il y a de ce mélange
éhonté de la courtisane et discret de la duchesse. Le romancier en
connaît beaucoup des unes et des autres, et quand il les réunit dans le
même salon, à l'ombre ardente, un demi-jour mystérieux, favorable aux
vierges folles, le plus sage et le plus sceptique lecteur se surprend à être
attentif, souvent charmé et toujours amoureux. Ces ceintures, si
facilement nouées et dénouées, ont un si grand attrait! Ces beaux rires
contagieux ont un si grand charme! Enfin, nous allons si facilement à
ces doux visages, à ces lèvres emperlées, au beau sein de ces
pécheresses!
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