triomphe. Il aimait ces
jeunes gens pleins de vie et qui parlaient si bien des choses qu'il aimait
le mieux. Donc, vous voyez que commencer ainsi, c'était bien
commencer: une jeunesse enthousiaste, un esprit plein de doute, un
talent plein de croyance, et surtout cette aimable croyance en soi-même.
On ne dépend de personne; on n'a rien à demander à personne. On obéit
à l'inspiration, heureux de peu, content de tout! C'était un grand plaisir
de les voir si bien vivre et marcher doucement dans les sentiers qu'ils
avaient découverts. Cela dura dix ans. Gérard de Nerval devint le
voyageur favori de Charles Nodier, de Mérimée, d'Armand Carrel et
des voyageurs dans un fauteuil.
Théophile Gautier s'emparait victorieux de l'histoire et du jugement des
beaux-arts. Il régnait dans le feuilleton, par le talent, par la volonté, et,
qui le croirait? par la bienveillance. Il était l'ami de Mme de Girardin,
le prôneur de Victor Hugo; toujours à son oeuvre, et quand, parfois, il
avait du temps à perdre, il nous contait une élégie, il nous racontait
l'ardente histoire de Mlle de Maupin. Cependant, le troisième ami, le
peintre, intrépide et ne doutant de rien, se chargeait d'orner les plus
beaux espaces, les places les plus célèbres dans nos églises, au conseil
d'État, au Panthéon, partout, dans tous les lieux de pompe et de fête où
il était désigné par son génie.
Eh bien, le plus insouciant de cette association du bien faire et du bien
dire était justement ce jeune rêveur, rêvant toujours, travaillant peu,
Arsène Houssaye! Son esprit, né pour la jeunesse, n'était pas encore né
pour le travail. Il semblait dire à ses amis: «Marchez devant, allez
toujours, moi je fais l'école buissonnière, et j'irai, s'il vous plaît, sans
hâte et sans ambition, au rendez-vous de la Fantaisie.»
Et pourtant ce fut alors qu'il écrivait la Pécheresse, un livre charmant
qui peint le duel du corps et de l'âme. Ce fut alors qu'il commençait ses
Portraits du XVIIIe siècle, ce siècle des magies de Watteau, si
dédaignées en notre jeunesse.
Il avait été pris dans son chemin par un travail inattendu, j'ai presque dit
inattendu. Il fut chargé de sauvegarder cette antique institution du grand
siècle, appelée la Comédie-Française. En ce lieu superbe, les plus
grands esprits de la France avaient trouvé l'asile et le respect pour
lesquels ils étaient nés. Ici, Molière, ami du peuple, avait composé ses
plus grands ouvrages: le Misanthrope et Célimène, et Tartufe et les
Femmes savantes, enfants sérieux du Théâtre-Français. Corneille avait
apporté, du fond de la Normandie, Auguste, Cinna, Émilie et tant
d'autres héros, la gloire et l'orgueil du genre humain. Racine, en même
temps que Corneille, avait glorifié le théâtre, et laissé--souvenirs de son
glorieux passage ici-bas--tant d'héroïnes charmantes et de héros
glorieux: Junie, Agrippine et Mithridate; avec ses charmants railleurs
qui faisaient un pendant à la comédie de Corneille: les Plaideurs; puis
Iphigénie, Esther et tout le reste. Étaient venus, plus tard, Voltaire et
Tancrède, la philosophie après la croyance, et la sagesse du poëte après
l'antique enthousiasme. Il n'y avait point de position plus belle à
défendre, à protéger, à conserver, et les plus habiles, quand ils virent ce
jeune homme attaché à ce pénible labeur, furent en doute de savoir
comment il va se tirer de peine et par quel bonheur du temps présent il
soutiendra les miracles du temps passé.
Lui, cependant, sans un moment de doute ou d'hésitation, il prit en
main la défense et la protection de ce théâtre incomparable; il assistait,
plein de respect, aux derniers moments de Mlle Mars. Il encourageait la
naissante ardeur de Mlle Rachel, et quand elle voulut aller plus loin que
Camille et chanter la Marseillaise [Note: Au temps où Mlle Rachel
chantait la Marseillaise, M. Arsène Houssaye n'était pas encore
directeur du Théâtre-Français.], il refusa de la suivre en ces périls sans
nom.
Ainsi lui fut compté, pour sa renommée, et disons le vrai mot, pour sa
gloire, ce passage heureux et rapide à travers le Théâtre-Français
(1849-1856). Il le quitta comme il l'avait pris, sans trouble et sans
regret, laissant après lui quelques oeuvres charmantes que lui seul il
avait protégées: Mademoiselle de la Seiglière; Charlotte Corday, les
Contes de la reine de Navarre, Gabrielle, et les chefs-d'oeuvre de
Victor Hugo, et les coups de théâtre d'Alexandre Dumas. J'allais oublier
l'inoubliable Alfred de Musset, avec son Chandelier. Et Octave Feuillet,
et Léon Gozlan, et Mme de Girardin!
Et désormais voilà Arsène Houssaye rendu à la vie littéraire, au culte
des belles-lettres, ses fidèles compagnes: un sourire dans le beau temps,
la consolation des heures mauvaises, fidèles compagnes qu'on ne
saurait trop servir et qu'on ne peut trop aimer.
Ce fut la première fois sans doute que l'on vit un directeur du
Théâtre-Français quitter la règle et le compas,
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