Les Indes Noires | Page 7

Jules Verne
modernes.
A cette époque, les eaux, qu'aucun lit ne retenait encore et que la condensation engendrait sur tous les points du globe, se précipitaient en arrachant aux roches, à peine formées, de quoi composer les schistes, les grès, les calcaires. Elles arrivaient au dessus des forêts tourbeuses et déposaient les éléments de ces terrains qui allaient se superposer au terrain houiller. Avec le temps -- des périodes qui se chiffrent par millions d'années --, ces terrains se durcirent, s'étagèrent et enfermèrent sous une épaisse carapace de poudingues, de schistes, de grès compacts ou friables, de gravier, de cailloux, toute la masse des forêts enlisées.
Que se passa-t-il dans ce creuset gigantesque, où s'accumulait la matière végétale, enfoncée à des profondeurs variables ? Une véritable opération chimique, une sorte de distillation. Tout le carbone que contenaient ces végétaux s'agglomérait, et peu à peu la houille se formait sous la double influence d'une pression énorme et de la haute température que lui fournissaient les feux internes, si voisins d'elle à cette époque.
Ainsi donc un règne se substituait à l'autre dans cette lente, mais irrésistible réaction. Le végétal se transformait en minéral. Toutes ces plantes, qui avaient vécu de la vie végétative sous l'active sève des premiers jours, se pétrifiaient. Quelques-unes des substances enfermées dans ce vaste herbier, incomplètement déformées, laissaient leur empreinte aux autres produits plus rapidement minéralisés, qui les pressaient comme e?t fait une presse hydraulique d'une puissance incalculable. En même temps, des coquilles, des zoophytes tels qu'étoiles de mer, polypiers, spirifères, jusqu'à des poissons, jusqu'à des lézards, entra?nés par les eaux, laissaient sur la houille, tendre encore, leur impression nette et comme ? admirablement tirée [1*] ?.
La pression semble avoir joué un r?le considérable dans la formation des gisements carbonifères. En effet, c'est à son degré de puissance que sont dues les diverses sortes de houilles dont l'industrie fait usage. Ainsi, aux plus basses couches du terrain houiller appara?t l'anthracite, qui, presque entièrement dépourvue de matière volatile, contient la plus grande quantité de carbone. Aux plus hautes couches se montrent, au contraire, le lignite et le bois fossile, substances dans lesquelles la quantité de carbone est infiniment moindre. Entre ces deux couches, suivant le degré de pression qu'elles ont subie, se rencontrent les filons de graphites, les houilles grasses ou maigres. On peut même affirmer que c'est faute d'une pression suffisante que la couche des marais tourbeux n'a pas été complètement modifiée.
Ainsi donc, l'origine des houillères, en quelque point du globe qu'on les ait découvertes, est celle-ci : engloutissement dans la cro?te terrestre des grandes forêts de l'époque géologique, puis, minéralisation des végétaux obtenue avec le temps, sous l'influence de la pression et de la chaleur, et sous l'action de l'acide carbonique.
Cependant, la nature, si prodigue d'ordinaire, n'a pas enfoui assez de forêts pour une consommation qui comprendrait quelques milliers d'années. La houille manquera un jour, -- cela est certain. Un ch?mage forcé s'imposera donc aux machines du monde entier, si quelque nouveau combustible ne remplace pas le charbon. A une époque plus ou moins reculée, il n'y aura plus de gisements carbonifères, si ce n'est ceux qu'une éternelle couche de glace recouvre au Groenland, aux environs de la mer de Baffin, et dont l'exploitation est à peu près impossible. C'est le sort inévitable. Les bassins houillers de l'Amérique, prodigieusement riches encore, ceux du lac Salé, de l'orégon, de la Californie, n'auront plus, un jour, qu'un rendement insuffisant. Il en sera ainsi des houillères du cap Breton et du Saint-Laurent, des gisements des Alleghanis, de la Pennsylvanie, de la Virginie, de l'Illinois, de l'Indiana, du Missouri. Bien que les g?tes carbonifères du Nord-Amérique soient dix fois plus considérables que tous les gisements du monde entier, cent siècles ne s'écouleront pas sans que le monstre à millions de gueules de l'industrie n'ait dévoré le dernier morceau de houille du globe.
La disette, on le comprend, se fera plus promptement sentir dans l'ancien monde. Il existe bien des couches de combustible minéral en Abyssinie, à Natal, au Zambèze, à Mozambique, à Madagascar, mais leur exploitation régulière offre les plus grandes difficultés. Celles de la Birmanie, de la Chine, de la Cochinchine, du Japon, de l'Asie centrale, seront assez vite épuisées. Les Anglais auront certainement vidé l'Australie des produits houillers, assez abondamment enfouis dans son sol, avant le jour où le charbon manquera au Royaume-Uni. A cette époque, déjà, les filons carbonifères de l'Europe, atteints jusque dans leurs dernières veines, auront été abandonnés.
Que l'on juge par les chiffres suivants des quantités de houille qui ont été consommées depuis la découverte des premiers gisements. Les bassins houillers de la Russie, de la Saxe et de la Bavière comprennent six cent mille hectares; ceux de l'Espagne, cent cinquante mille; ceux de la Bohême et de l'Autriche, cent cinquante mille. Les bassins de la Belgique, longs de quarante lieues,
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