Les Grandes Dames | Page 4

Arsène Houssaye
heureux d'aimer une pareille cr��ature!?
Un esprit vulgaire n'e?t pas manqu�� de dire: ?Comme on serait heureux d'��tre aim�� par une pareille cr��ature!?
Mais M. de Parisis savait bien que le bonheur d'��tre aim�� est s��par�� par un ab?me du bonheur d'aimer. ��tre aim��, qu'est-ce que cela en regard du bonheur d'aimer! ��tre aim��, c'est �� la port��e de tout le monde; mais aimer! c'est rouvrir le paradis.
Octave avait, d'ailleurs, assez de foi en lui pour ne pas douter qu'une fois amoureux d'une femme--quelle que f?t cette femme--il ne parv?nt �� ��tre aim�� d'elle.
Ce jour-l�� on se demandait donc au bord du Lac pourquoi M. Octave de Parisis n'avait pas encore paru. Au bord de quel lac? Vous avez raison. Il y a encore quelques lecteurs romanesques qui r��vent au lac de Lamartine et qui ne savent pas qu'il n'y a plus qu'un lac dans le monde: le Lac du bois du Boulogne, cette perle trouble, cette cuvette d'��meraude, cette source insens��e, o�� les amazones ne trouveraient pas d'eau pour se baigner les pieds.
Que pouvait bien faire un jour de f��vrier, entre quatre et cinq heures, M. le duc de Parisis, l'homme le plus beau de Paris, �� pied, �� cheval ou en pha��ton? Et qui se demandait cela? Quelques com��diennes de petits th��atres, quelques filles perdues ou retrouv��es, quelques Phryn��es sans ��tats de service? Non! C'��taient les femmes du plus beau monde; c'��taient aussi les com��diennes illustres et les courtisanes irr��prochables; celles-l�� qui ne se d��modent pas, parce qu'elles font la mode.
Il y a toujours �� Paris un homme qui r��gne despotiquement sur les femmes; on peut dire que le plus souvent c'est par droit de conqu��te et par droit de naissance. L'origine d'une femme peut se perdre dans les mille et une nuits; sa beaut�� est son blason, elle a des armoiries parlantes, on ne lui demande pas comment elle ��cart��le; mais il n'en est pas ainsi de l'homme, �� moins toutefois que la fortune, l'h��ro?sme, le g��nie ne l'ait mis en relief. Et encore on veut savoir d'o�� il vient. Et on lui tient compte d'��tre fils des dieux comme C��sar, m��me s'il descend des dieux par V��nus. Octave avait tous les titres �� ce despotisme.
N�� duc et beau, on l'avait d��s son berceau habitu�� �� sa part de royaut��. Au coll��ge, il avait r��gn�� sur les enfants; depuis son adolescence, il avait une arm��e de chevaux, de chiens et de laquais; depuis ses vingt ans, il avait une l��gion de femmes; soldat d'aventure, il avait eu son heure d'h��ro?sme devant P��kin en t��te des spahis; diplomate de l'��cole de M. de Morny, il avait d��j�� triomph�� des hommes comme il avait triomph�� des femmes, jouant cartes sur table, mais en prouvant que les cartes ��taient pour lui.
Cependant Octave avait voulu suivre la jeune fille en robe lilas, mais il sentit qu'il y avait l'infini entre elle et lui.
La vertu aura toujours cela de beau que les plus sceptiques s'arr��teront devant elle avec un sentiment de religion, comme le voyageur devant les montagnes inaccessibles qui sont couvertes de neige et de rayons.
?Non, je ne la suivrai pas, dit le duc de Parisis avec quelque tristesse, je n'ai pas le droit de jeter des roses dans son jardin.?
C'��tait la premi��re fois que M. de Parisis d��tournait les passions de sa route. ?Apr��s cela, reprit-il en regardant, �� travers la ramure d��pouill��e, la robe lilas de la jeune fille, j'ai beau me d��tourner de son chemin, si je dois l'aimer, c'est ��crit jusques sur ces feuilles s��ches br?l��es par le givre.?
Et, au lieu d'aller au bord du lac, comme de coutume, il s'��gara avec une vague volupt�� dans les avenues solitaires, suivant d'un regard r��veur de blancs flocons qui allaient refaire une virginit�� �� la terre souill��e. ?Tombez, tombez, madame la Neige, disait-il dans sa soudaine m��lancolie, tombez sur moi, cela fait du bien �� mon coeur.? C'��tait la premi��re fois que ce fier sceptique ��coutait les battements de son coeur.

II.
LA L��GENDE DES PARISIS
Le soir, Parisis alla voir ses amis au Caf�� Anglais, dans ce num��ro 16 qui serait la vraie loge infernale de ces derni��res ann��es--s'il y avait eu une loge infernale.
Il y trouva Monjoyeux--sculpteur et com��dien d'aventure--qui ouvrait ses mains pleines de paradoxes;--le marquis de Villeroy, un ambitieux qui ne vivait que la nuit; le vicomte de Miravault, un chercheur de millions qui avait peur de perdre son temps et qui buvait du vin de Champagne arithm��tiquement; le prince Rio, surnomm�� dans le monde des filles le prince Bleu,--le prince pass�� au bleu--qui faisait tourner la t��te--de l'autre c?t��--�� Mlle Tournesol; Antonio, Harken et d'Aspremont, qui enseignaient l'histoire de la main gauche, depuis Diane de Poitiers jusqu'�� Mme de Pompadour, �� quatre demoiselles ne doutant pas que ces messieurs ne leur payassent �� toutes un cachet pour avoir si
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 212
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.