Les Grandes Dames | Page 8

Arsène Houssaye
Parisis, que nous avons eu l'honneur de vous présenter,--Madame,--et qui en vaut bien la peine.
Le duc Raoul de Parisis fut tué à la chasse à sa troisième année de bonheur. On le rapporta mourant. Il baisa un crucifix que lui présentait sa mère. ?Ah! dit-il en regardant avec passion sa jeune femme qui tenait son enfant dans ses bras pour cacher ses larmes, l'amour ne pardonne pas aux Parisis.?
Octave de Parisis était de belle stature, figure barbue, lèvre railleuse, nez accentué à narines expressives, cheveux bruns à reflets d'or, légèrement ébouriffés par un jeu savant de la main. Dans le regard profond d'un oeil bleu de mer, comme sur le front bien coupé, on voyait errer la pensée, la volonté, la domination. C'était la tête d'un sceptique plut?t que celle d'un amoureux, mais la passion y frappait sa marque. La raillerie n'avait pas eu raison du coeur. Son sourire avait je ne sais quoi de fatal dans sa gaieté. Quand on l'avait vu, on ne l'oubliait pas: c'était surtout l'opinion des femmes. Il avait la désinvolture d'un artiste avec la dignité d'un diplomate. Il s'habillait à Paris, mais dans le style anglais. Voilà pour la surface visible.
Son esprit était inexplicable comme le coeur d'une femme coquette. Il aspirait à tout, disant qu'il ne voulait de rien. Il ne se cognait pas aux nuées comme don Juan l'inassouvi; il avait pourtant son idéal; mais ne se nourrissant pas de chimères, après la première heure d'enthousiasme, il éclatait de rire.
Il sentait, d'ailleurs, que les grandes passions sont dépaysées dans le Paris d'aujourd'hui. Vivre au jour le jour et cueillir la femme, c'était pour lui la sagesse. Il avait pour les femmes le go?t des grands amateurs de gravures; il adorait l'épreuve d'artiste et l'épreuve avant la lettre; mais il ne dédaignait pas l'esprit et la malice de la lettre. Il n'avouait pas ses femmes et parlait avec un peu trop de fatuité des autres, convaincu, d'ailleurs, que toute femme tentée tombe un jour comme une fraise m?re dans la main de l'amoureux. Il avait beaucoup d'esprit et il aimait beaucoup l'esprit,--l'esprit parlé,--car il ne lisait guère et n'écrivait pas.
La nature avait plus fait pour lui qu'il n'avait fait pour elle. Toutefois, il n'avait pas gaté ses dons. Il montait à cheval comme Mackensie; il donnait un coup d'épée avec la grace impitoyable de Benvenuto Cellini. Il nageait comme une truite; il luttait à la force du poignet avec le sourire du gladiateur. Il avait pareillement fécondé son esprit par le sentiment des arts et par l'amour de l'inconnu. Son esprit aimait l'inconnu comme son coeur aimait l'imprévu. Nul n'avait mieux pénétré à vol d'oiseau l'histoire ou plut?t le roman des philosophies: nul n'en était revenu plus sceptique et plus dédaigneux.
Octave de Parisis était né pour toutes les fortunes, même pour les mauvaises. Beau de l'altière beauté qui s'impose par la sévérité des lignes et la fierté de l'expression, il avait fait son entrée dans le monde avec l'auréole des vertus de naissance, qui ont tant de prestige sous les gouvernements démocratiques. Il n'en était ni meilleur ni plus mauvais. Il vivait comme ses amis ou ses camarades, un pied dans le monde, un pied dans le demi-monde, sans trop de souci de sa dignité plus ou moins chevaleresque, offrant à trois heures son coupé et ses gens à Mlle Trente-six-Vertus pour aller au Bois, le reprenant le soir pour aller chez une duchesse de Sainte-Clotilde. Il se montrait dans les salons officiels jusqu'à minuit; mais, après minuit, il jouait au club ou soupait à la Maison-d'Or ou au Café Anglais avec les plus gais compagnons. Il était de toutes les fêtes. On l'a vu conduire le cotillon à la Cour, mais pour caricaturer tous les danseurs de cotillon.
Avec son esprit d'aventure, Octave était voyageur. Non pas pour aller à Rome, à Bade, aux Pyrénées ou à Montmorency, comme ces gentlemen du boulevard qui disent impertinemment au mois d'ao?t: ?Que voulez-vous, moi, j'aime les voyages!? Parisis ne parlait de voyager que pour faire le tour du monde, pour pénétrer dans les pays inaccessibles, franchir les murailles de la Chine, fumer un cigare à Tombouctou et s'intituler roi de quelque peuplade indienne. A sa vingtième année, il était allé à Lima, pour voyager bien plut?t que pour liquider les affaires de son père dans la ville du soleil: Le duc Raoul de Parisis, chercheur et trouveur d'or, n'était revenu en France qu'avec l'idée de retourner au Pérou; il avait laissé là-bas un représentant ayant beaucoup de comptes à rendre et croyant que l'Océan le dispenserait de montrer ses livres; il se contentait, depuis longtemps, d'envoyer au chateau de Parisis la moitié des trouvailles. Octave s'était donc reconnu beaucoup plus riche qu'il ne l'espérait. Il n'avait eu garde de quitter l'Amérique sans s'y promener, amoureux
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