Les Grandes Dames | Page 9

Arsène Houssaye
des forêts vierges, comme Chateaubriand, et des fleuves géants, comme Fenimore Cooper. Ce qui lui plut surtout, ce furent ces villes universelles du Nouveau-Monde, où l'horloge du temps va trois fois plus vite que dans la vieille Europe. Il eut la bonne fortune de rencontrer, à New-York, Mlle Rachel, qui finissait, et Mlle Patti, qui commen?ait. Il n'épousa pas Mlle Patti, mais jurerait-on qu'il ne donna pas son coeur à Mlle Rachel?
Il revint en France pour voir mourir sa mère: ce fut son premier chagrin.
Que rapporta-t-il de la patrie de Franklin? Beaucoup d'or et l'amour de l'or. Ce fut là surtout qu'il comprit qu'un dollar a plus d'esprit qu'un homme, et que cent mille dollars ont plus de vertu qu'une femme: style américain. Il ne se passionna, d'ailleurs, ni pour les lois, ni pour les arts, ni pour les lettres des états-Unis. Les vraies femmes qu'il aima là-bas, c'étaient des Américaines de Paris. Parisien par excellence, il aimait Paris partout. Avec mille Parisiens comme Octave, le monde serait conquis à la France.
Revenu à Paris, il rencontra l'Empereur,--à la Cour, où il était si difficile de rencontrer l'Empereur;--il lui parla de son père et du pèlerinage à Ste-Hélène. L'Empereur, qui savait toute cette histoire, présenta lui-même Octave au marquis de la Valette en-disant: ?Voilà un futur ambassadeur.? Octave prit ses grades en diplomatie dans les coulisses de l'Opéra, chez Mlle Léonide Leblanc ou Mlle Sarah Bernhardt, au bal des Tuileries; chez les ambassadrices, au bois de Boulogne. Aussi commen?ait-il à rire dans sa barbe des sentences de Machiavel et des malices de M. de Talleyrand, quand éclata la guerre de Chine.
La Chine est un pays si fabuleux que nous ne pouvons déjà plus nous imaginer, à quelques années de distance, que nous avons pris la capitale du Céleste-Empire avec une poignée d'hommes. Octave de Parisis fut dans cette poignée de héros.
Pendant que les Chinois incendiaient et que les Anglais choisissaient des bijoux, les Fran?ais s'enchinoisaient. Octave fit main basse sur deux choses: une jeune Chinoise qu'il emmena à Paris, et un éventail-Pompadour pour la première marquise qu'il rencontrerait au faubourg Saint-Germain. Des amours d'Octave à Pékin, on pourrait faire un joli Livre de Jade. Il fit naviguer sur le fleuve jaune des maris qui n'avaient jusque-là navigué que sur le fleuve Bleu. On se rappelle le bruit qu'il fit à son retour avec sa Chinoise, une vraie potiche qui ne marchait pas; il la portait dans le monde et chantait des duos avec elle, dans le plus grand sérieux, car il était ma?tre fou par excellence.
On ne lui avait pas fait un crime d'avoir, pour quelques jours, métamorphosé le diplomate en soldat, on lui avait promis une mission en Orient. Il disait d'un air dégagé: ?Si je ne meurs pas dans un duel ou sur un pli de rose, on me retrouvera ambassadeur à Londres et grand-croix de la Légion d'honneur.--Mais surtout chevalier de la Jarretière,? lui disaient ses amis. Il avait déjà, d'ailleurs, tous les ordres, moins le ruban de Monaco, le seul qui lui e?t été refusé. Il faut bien laisser un désir aux grandes ambitions.
En attendant sa mission--et la croix de Monaco--il ne se trouvait pas trop malheureux dans un adorable h?tel de l'avenue de l'Impératrice, bien connu sous le nom du Harem.
Comme une grande dame du dix-huitième siècle, Mme de Montmorin, la duchesse de Parisis avait dit à son fils: ?Je ne vous recommande qu'une chose, c'est d'être amoureux de toutes les femmes.? Octave aimait toutes les femmes, comme le voulait sa mère. Pour jouer ce r?le, qui préserve souvent des dénouements tragiques de l'amour, il faut toujours être à l'oeuvre. Mais Octave était un homme d'action, souvent irrésistible par sa beauté intelligente, son art exquis de tout dire aux oreilles les plus délicates, d'être passionné sans passion, d'être fou sans folie, et surtout d'être sage sans sagesse.
Parisis avait une vertu: il aimait la vérité; nul ne dédaignait comme lui les préjugés et les illusions, Aussi faisait-il bon marché des ambitions humaines; je me trompe, il avait l'ambition de conquérir les femmes. Puisque la femme est le chef-d'oeuvre de la création, pourquoi ne pas adorer et posséder ce chef-d'oeuvre à mille exemplaires? La femme est amère, a dit Salomon devant ses sept cents femmes, mais au moins elle est la femme, une chose visible, vivante et saisissable, tandis que tout le reste n'est que vanité. Ainsi raisonnait Octave à ses moments perdus: plus d'un philosophe à ses moments trouvés n'a peut-être pas été si près de la sagesse.
Il disait à ses amis: ?Pour se faire adorer des femmes, il faut parler aux femmes du monde,--si elles sont en rupture de ban conjugal,--comme on parlerait aux courtisanes, et traiter les courtisanes comme si elles étaient les femmes du monde.? Il disait aussi: ?Selon Vauvenargues: Qui méprise l'homme n'est
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 212
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.