heureux d'aimer une pareille créature!?
Un esprit vulgaire n'e?t pas manqué de dire: ?Comme on serait heureux d'être aimé par une pareille créature!?
Mais M. de Parisis savait bien que le bonheur d'être aimé est séparé par un ab?me du bonheur d'aimer. être aimé, qu'est-ce que cela en regard du bonheur d'aimer! être aimé, c'est à la portée de tout le monde; mais aimer! c'est rouvrir le paradis.
Octave avait, d'ailleurs, assez de foi en lui pour ne pas douter qu'une fois amoureux d'une femme--quelle que f?t cette femme--il ne parv?nt à être aimé d'elle.
Ce jour-là on se demandait donc au bord du Lac pourquoi M. Octave de Parisis n'avait pas encore paru. Au bord de quel lac? Vous avez raison. Il y a encore quelques lecteurs romanesques qui rêvent au lac de Lamartine et qui ne savent pas qu'il n'y a plus qu'un lac dans le monde: le Lac du bois du Boulogne, cette perle trouble, cette cuvette d'émeraude, cette source insensée, où les amazones ne trouveraient pas d'eau pour se baigner les pieds.
Que pouvait bien faire un jour de février, entre quatre et cinq heures, M. le duc de Parisis, l'homme le plus beau de Paris, à pied, à cheval ou en phaéton? Et qui se demandait cela? Quelques comédiennes de petits théatres, quelques filles perdues ou retrouvées, quelques Phrynées sans états de service? Non! C'étaient les femmes du plus beau monde; c'étaient aussi les comédiennes illustres et les courtisanes irréprochables; celles-là qui ne se démodent pas, parce qu'elles font la mode.
Il y a toujours à Paris un homme qui règne despotiquement sur les femmes; on peut dire que le plus souvent c'est par droit de conquête et par droit de naissance. L'origine d'une femme peut se perdre dans les mille et une nuits; sa beauté est son blason, elle a des armoiries parlantes, on ne lui demande pas comment elle écartèle; mais il n'en est pas ainsi de l'homme, à moins toutefois que la fortune, l'héro?sme, le génie ne l'ait mis en relief. Et encore on veut savoir d'où il vient. Et on lui tient compte d'être fils des dieux comme César, même s'il descend des dieux par Vénus. Octave avait tous les titres à ce despotisme.
Né duc et beau, on l'avait dès son berceau habitué à sa part de royauté. Au collège, il avait régné sur les enfants; depuis son adolescence, il avait une armée de chevaux, de chiens et de laquais; depuis ses vingt ans, il avait une légion de femmes; soldat d'aventure, il avait eu son heure d'héro?sme devant Pékin en tête des spahis; diplomate de l'école de M. de Morny, il avait déjà triomphé des hommes comme il avait triomphé des femmes, jouant cartes sur table, mais en prouvant que les cartes étaient pour lui.
Cependant Octave avait voulu suivre la jeune fille en robe lilas, mais il sentit qu'il y avait l'infini entre elle et lui.
La vertu aura toujours cela de beau que les plus sceptiques s'arrêteront devant elle avec un sentiment de religion, comme le voyageur devant les montagnes inaccessibles qui sont couvertes de neige et de rayons.
?Non, je ne la suivrai pas, dit le duc de Parisis avec quelque tristesse, je n'ai pas le droit de jeter des roses dans son jardin.?
C'était la première fois que M. de Parisis détournait les passions de sa route. ?Après cela, reprit-il en regardant, à travers la ramure dépouillée, la robe lilas de la jeune fille, j'ai beau me détourner de son chemin, si je dois l'aimer, c'est écrit jusques sur ces feuilles sèches br?lées par le givre.?
Et, au lieu d'aller au bord du lac, comme de coutume, il s'égara avec une vague volupté dans les avenues solitaires, suivant d'un regard rêveur de blancs flocons qui allaient refaire une virginité à la terre souillée. ?Tombez, tombez, madame la Neige, disait-il dans sa soudaine mélancolie, tombez sur moi, cela fait du bien à mon coeur.? C'était la première fois que ce fier sceptique écoutait les battements de son coeur.
II.
LA LéGENDE DES PARISIS
Le soir, Parisis alla voir ses amis au Café Anglais, dans ce numéro 16 qui serait la vraie loge infernale de ces dernières années--s'il y avait eu une loge infernale.
Il y trouva Monjoyeux--sculpteur et comédien d'aventure--qui ouvrait ses mains pleines de paradoxes;--le marquis de Villeroy, un ambitieux qui ne vivait que la nuit; le vicomte de Miravault, un chercheur de millions qui avait peur de perdre son temps et qui buvait du vin de Champagne arithmétiquement; le prince Rio, surnommé dans le monde des filles le prince Bleu,--le prince passé au bleu--qui faisait tourner la tête--de l'autre c?té--à Mlle Tournesol; Antonio, Harken et d'Aspremont, qui enseignaient l'histoire de la main gauche, depuis Diane de Poitiers jusqu'à Mme de Pompadour, à quatre demoiselles ne doutant pas que ces messieurs ne leur payassent à toutes un cachet pour avoir si
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