est la fille d'une grande dame, sans avoir toutes les vertus de son emploi. De même qu'il serait trop cruel de na?tre avec tous les dons de la beauté, de la grace, de l'esprit, sans devenir une grande dame, parce qu'on ne serait pas la fille d'une duchesse ni même d'une baronne.
Il y a donc des grandes dames partout, depuis le faubourg Saint-Germain jusqu'au faubourg du Temple.
Mais comment la plébéienne qui na?t grande dame prendra-t-elle sa place au soleil? Par le hasard des choses; peut-être lui faudra-t-il traverser le luxe des courtisanes; mais, un jour ou l'autre, si elle le veut bien, elle écartèlera d'argent sur champ de gueules. C'est l'amour qui la remettra dans son chemin, ce sera une grande dame de la main gauche, mais ce sera une grande dame. Quand Mlle Rachel entrait dans un salon, c'était une grande dame; combien de princesses qui venaient à sa suite, et qui ne semblaient que des princesses de théatre!
La grande dame finit où commence la femme comme il faut, qui elle-même finit où commence le demi-monde.
On na?t grande dame comme on na?t poète; mais, pour cela, il ne faut pas toujours na?tre d'une patricienne. Il faut bien laisser à la création ses imprévus et ses transfigurations; il faut bien que la nature donne de perpétuelles le?ons à l'orgueil humain. Les grandes dames sont presque toujours des filles de race; mais quelques-unes pourtant, nées plébéiennes, lèvent leur épi d'or de pur froment au milieu du champ de seigle.
Les anciennes aristocraties ont gardé le privilège de faire les grandes dames. Les nouvelles en font aussi, mais avec plus d'alliage. Ce n'est pas à la première génération que la race s'accuse; elle resplendit à la seconde; souvent, à la troisième, elle se perd. C'est l'histoire de ces vins, rudes à la première période, exquis à la seconde, et qui vont se dépouillant trop vite à la troisième. C'est la loi de l'humanité, comme c'est la loi de la nature.
Dieu lui-même ne crée pas un chef-d'oeuvre du premier coup; il commence, comme tous les artistes, par l'ébauche.
Voilà pourquoi la grande dame est un oiseau rare. Où est le merle blanc? Les familles qui ont fait leur temps n'ont plus le privilège de frapper leur marque; elles se sont étiolées, comme les plus belles fleurs qui ne donnent plus que des tiges palies, où la sève s'épuise. Toutes les forces de la création, dans son action la plus divine, n'arrivent pas à créer dans le monde entier cent grandes dames par an. Et combien qui meurent petites filles! Et combien qui font l'école buissonnière avant d'arriver à la beauté souveraine du corps et de l'ame!
AR--H--YE.
LES GRANDES DAMES
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LIVRE I
MONSIEUR DON JUAN
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I
C'EST éCRIT SUR LES FEUILLES DU BOIS DE BOULOGNE
Les curieuses des bords du Lac se demandaient ce jour-là avec inquiétude pourquoi M. de Parisis n'avait pas encore paru?
Jean-Octave de Parisis, surnommé Don Juan de Parisis, était un homme du plus beau monde parisien;--un dilettante partout, à l'Opéra, à la Comédie-Fran?aise, dans l'atelier des artistes;--un virtuose quand il conduisait son breack victorieux, quand il jouait au baccarat, quand il pariait aux courses, quand il prêchait l'athéisme, quand il donjuanisait avec les femmes.
C'est un quasi-ambassadeur. Aussi, selon les perspectives, disait-on:--C'est un homme sérieux,--ou:--C'est un désoeuvré.
Les femmes disaient: ?Il porte l'Enfer avec lui.?
Le duc de Parisis n'était pas au bord du Lac, parce qu'il se promenait à cheval dans l'avenue de la Muette. Il avait pris le chemin des écoliers pour suivre un landau à huit ressorts. C'est que dans ce landau il voyait une jeune fille qu'il n'avait jamais rencontrée, lui qui connaissait toutes les femmes et toutes les jeunes filles du beau Paris, comme Théophile Gautier connaissait toutes les figures du Louvre.
Cette jeune fille était accompagnée d'une dame en cheveux blancs qui avait grand air. Toutes deux descendirent de voiture pour se promener dans une allée solitaire, en femmes qui ne vont au Bois que pour le bois.
La dame en cheveux blancs s'appuya au bras de la jeune fille, qui, toute pensive et toute silencieuse, effeuillait les feuilles sèches et rouillées des branches de chêne. Octave ne regardait pas la vieille dame; il n'avait d'yeux que pour la jeune fille.
Elle était belle comme la beauté:--grande, souple, blanche, un profil de vierge antique, une chaste désinvolture, je ne sais quoi de flexible et de brisé déjà comme le roseau après l'orage;--une gerbe de cheveux blonds, des yeux noirs et doux--regards fiers et caressants à la fois;--un sourire encore candide, mais déjà féminin, expression de la jeunesse, qui ne sait rien que Dieu, mais qui cherche Satan:--une vraie femme transper?ant à travers la jeune fille.
M. de Parisis, qui venait de voir aux Champs-élysées quelques demoiselles à la mode, fut ému de cette rencontre et murmura à mi-voix: ?Comme on serait
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