mer d'ébène, un éblouissant rêve
De
voiles, de rameurs, de flammes et de mâts:
Un port retentissant où mon âme peut boire
A grands flots le parfum,
le son et la couleur;
Où les vaisseaux, glissant dans l'or et dans la
moire,
Ouvrent leurs vastes bras pour embrasser la gloire
D'un ciel
pur où frémit l'éternelle chaleur.
Je plongerai ma tête amoureuse d'ivresse
Dans ce noir océan où
l'autre est enfermé;
Et mon esprit subtil que le roulis caresse
Saura
vous retrouver, ô féconde paresse,
Infinis bercements du loisir
embaumé!
Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues,
Vous me rendez l'azur
du ciel immense et rond;
Sur les bords duvetés de vos mèches tordues
Je m'enivre ardemment des senteurs confondues
De l'huile de coco,
du musc et du goudron.
Longtemps! toujours! ma main dans ta crinière lourde
Sèmera le
rubis, la perle et le saphir,
Afin qu'à mon, désir tu ne sois jamais
sourde!
N'es-tu pas l'oasis où je rêve, et la gourde
Où je hume à
longs traits le vin du souvenir?
Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne,
O vase de tristesse, ô grande
taciturne,
Et t'aime d'autant plus, belle, que tu me fuis,
Et que tu me
parais, ornement de mes nuits,
Plus ironiquement accumuler les
lieues
Qui séparent mes bras des immensités bleues.
Je m'avance à l'attaque, et je grimpe aux assauts,
Comme après un
cadavre un choeur de vermisseaux,
Et je chéris, ô bête implacable et
cruelle,
Jusqu'à cette froideur par où tu m'es plus belle!
Tu mettrais l'univers entier dans ta ruelle,
Femme impure! L'ennui
rend ton âme cruelle.
Pour exercer tes dents à ce jeu singulier,
Il te
faut chaque jour un coeur au râtelier.
Tes yeux, illuminés ainsi que
des boutiques
Ou des ifs flamboyants dans les fêtes publiques,
Usent insolemment d'un pouvoir emprunté,
Sans connaître jamais la
loi de leur beauté.
Machine aveugle et sourde en cruauté féconde!
Salutaire instrument,
buveur du sang du monde,
Comment n'as-tu pas honte, et comment
n'as-tu pas
Devant tous les miroirs vu pâlir tes appas?
La grandeur
de ce mal où tu te crois savante
Ne t'a donc jamais fait reculer
d'épouvante,
Quand la nature, grande en ses desseins cachés,
De toi
se sert, ô femme, ô reine des péchés,
--De toi, vil animal,--pour pétrir
un génie?
O fangeuse grandeur, sublime ignominie!
SED NON SATIATA
Bizarre déité, brune comme les nuits,
Au parfum mélangé de musc et
de havane,
OEuvre de quelque obi, le Faust de la savane,
Sorcière
au flanc d'ébène, enfant des noirs minuits,
Je préfère au constance, à l'opium, au nuits,
L'élixir de ta bouche où
l'amour se pavane;
Quand vers toi mes désirs partent en caravane,
Tes yeux sont la citerne où boivent mes ennuis.
Par ces deux grands yeux noirs, soupiraux de ton âme,
O démon sans
pitié, verse-moi moins de flamme;
Je ne suis pas le Styx pour
t'embrasser neuf fois,
Hélas! et je ne puis, Mégère libertine,
Pour briser ton courage et te
mettre aux abois,
Dans l'enfer de ton lit devenir Proserpine!
Avec ses vêtements ondoyants et nacrés,
Même quand elle marche,
on croirait qu'elle danse,
Comme ces longs serpents que les jongleurs
sacrés
Au bout de leurs bâtons agitent en cadence.
Comme le sable morne et l'azur des déserts,
Insensibles tous deux à
l'humaine souffrance,
Comme les longs réseaux de la houle des mers,
Elle se développe avec indifférence.
Ses yeux polis sont faits de minéraux charmants,
Et dans cette nature
étrange et symbolique
Où l'ange inviolé se mêle au sphinx antique,
Où tout n'est qu'or, acier, lumière et diamants,
Resplendit à jamais,
comme un astre inutile,
La froide majesté de la femme stérile.
LE SERPENT QUI DANSE
Que j'aime voir, chère indolente,
De ton corps si beau,
Comme une étoile vacillante,
Miroiter la peau!
Sur ta chevelure profonde
Aux âcres parfums,
Mer odorante et vagabonde
Aux flots bleus et bruns.
Comme un navire qui s'éveille
Au vent du matin,
Mon âme rêveuse appareille
Pour un ciel lointain.
Tes yeux, où rien ne se révèle
De doux ni d'amer,
Sont deux bijoux froids où se mêle
L'or avec le fer.
A te voir marcher en cadence,
Belle d'abandon,
On dirait un serpent qui danse
Au bout d'un bâton;
Sous le fardeau de ta paresse
Ta tête d'enfant
Se balance avec la mollesse
D'un jeune éléphant,
Et son corps se penche et s'allonge
Comme un fin vaisseau
Qui roule bord sur bord, et plonge
Ses vergues dans l'eau.
Comme un flot grossi par la fonte
Des glaciers grondants,
Quand l'eau de ta bouche remonte
Au bord de tes dents,
Je crois boire un vin de Bohême,
Amer et vainqueur,
Un ciel liquide qui parsème
D'étoiles mon coeur!
UNE CHAROGNE
Rappelez-vous l'objet que nous vîmes, mon âme,
Ce beau matin d'été si doux:
Au détour d'un sentier une charogne
infâme
Sur un lit semé de cailloux,
Les jambes en l'air, comme une femme lubrique,
Brûlante et suant les poisons,
Ouvrait d'une façon nonchalante et
cynique
Son ventre plein d'exhalaisons.
Le soleil rayonnait sur cette pourriture,
Comme afin de la cuire à point,
Et de rendre au centuple à la grande
Nature
Tout ce qu'ensemble elle avait joint.
Et le ciel regardait la carcasse superbe
Comme une fleur s'épanouir;
La puanteur était si forte que
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