Borrekens fut donc accueillie avec attention; et les esprits faibles et flottants, c'est-à-dire la majorité, se mirent à crier que les droits et les privilèges du Serment avaient été violés; la discussion s'alluma, s'anima, s'envenima, d'autant plus que la bière circulait partout: de pot en pot, et de verre en verre, elle ne contribuait point médiocrement à exaspérer les esprits et à donner de la violence à la discussion.
Après avoir subi ces orages pendant trois grandes heures, Borrekens allait succomber et Ians Kniff triompher, lorsqu'un jeune homme, qui s'était tenu à l'écart jusqu'alors, prit la parole et démontra si clairement les avantages que le Serment recueillait du marché conclu par ma?tre Borrekens, qu'il ramena à son avis cette majorité flottante, irrésolue, qui, nous l'avons dit, s'était ralliée tout d'abord à Ians Kniff.
Un incident vint servir le jeune homme plus encore que sa bonne mine, son éloquence naturelle et sa logique serrée: ce fut la violence avec laquelle Kniff s'élan?a à la tribune pour interrompre l'orateur.
Celui-ci, sans perdre rien de son sang-froid, déclara qu'il avait la parole; qu'il avait écouté patiemment mynheer Kniff, et qu'il avait le droit d'être écouté de la même manière par ledit ma?tre Kniff. Mais comme celui-ci, excité par la colère et surtout par les vapeurs de la bière, se cramponnait à la tribune et cherchait à couvrir de ses cris la voix de son adversaire, le jeune arquebusier, doué d'une force herculéenne, prit le récalcitrant dans ses bras, le descendit de la tribune, et reprit paisiblement la parole, comme si rien ne se f?t passé.
Il en fallait beaucoup moins pour démoraliser le bossu, dont chacun, nous l'avons dit, détestait l'outrecuidance insolente. Des rires et même des huées le réduisirent au silence, et il fut décidé à l'unanimité que mynheer Borrekens avait bien mérité du Serment des Arquebusiers.
--Vous m'avez donné un bon coup d'épaule, jeune homme, dit, au sortir de la séance, Borrekens, qui frappa ga?ment sur le bras de son auxiliaire. Merci et à charge de revanche!
Le jeune homme sourit.
--Personne ne vous connaissait tout à l'heure parmi les arquebusiers, mais je puis vous affirmer que désormais vous voici populaire parmi eux. Quant à moi, je n'oublierai point votre nom quand je le saurai.
--Je ne fais partie du serment que depuis un mois, répondit le jeune homme avec modestie. Quand je vous aurai dit que je m'appelle Simon van Maast, vous n'en serez guère plus avancé; mon nom et ma personne sont trop obscurs pour qu'on se souvienne de l'une ou de l'autre.
--Je sais quelqu'un qui ne les oubliera pas, reprit ma?tre Borrekens. Je n'oublie jamais mes amis, et vous êtes désormais des miens, Simon van Maast! et pour me prouver que je dis vrai, vous allez venir souper avec moi sans me faire une seule objection. Nous boirons à la santé de saint-Christophe, une ou deux bonnes bouteilles de Claret qui, depuis longues années, se couvrent de poussière dans ma cave.
En disant cela, ma?tre Borrekens prenait une clé à sa ceinture, ouvrait la porte de sa maison, et introduisait Simon dans le parloir dont nous ayons déjà parlé, et où le couvert du souper était dressé.
--Allons! Thrée, dit-il en entrant à la jeune veuve, allons! ma chère, fais mettre un couvert de plus! Simon van Maast soupe avec nous! C'est un gar?on qui parle à ravir, et qui est fort comme l'Hercule que mynheer Rubens vient de peindre dans la salle du conseil. Ce brave Simon m'a tiré du pied, comme on dit, une facheuse épine, attendu que cette épine n'était rien moins que ce damné Ians Kniff! Ah! ah! je rirai longtemps de la manière dont vous l'avez réduit au silence, mon honnête Simon.
Tandis qu'il exprimait ainsi de nouveau sa joie et sa reconnaissance au jeune homme, Thrée, dont les joues s'étaient couvertes d'une légère rougeur à la vue d'un étranger, allait et venait, pour remplir les ordres de son beau-père.
Les joues de Simon reflétèrent la rougeur de la jeune femme, lorsqu'il eut remarqué cette créature angélique, à laquelle ses vêtements de deuil semblaient donner je ne sais quel charme mélancolique qui allait au coeur.
Aussi fut-ce avec un véritable sentiment de chagrin que, vers la fin du repas, et lorsque les épices apparurent sur la table, il la vit placer deux bouteilles devant son beau-frère, se lever, présenter son front à baiser à mynheer Borrekens, et adresser une profonde révérence à son h?te.
--Pauvre Thrée! dit après le départ de la jeune femme mynheer Borrekens, que les émotions de la journée et le vin de Claret avaient rendu communicatif plus que d'habitude. Après huit mois de mariage, perdre, par un fatal accident, son mari! mon fils unique! Un beau et brave jeune homme comme vous, Simon! Il s'est aventuré follement sur une mauvaise barque pour sauver la vie à des malheureux naufragés, et il a péri
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