Les Femmes de la Révolution | Page 8

Jules Michelet
faubourg Saint-Antoine.
Les volontaires de la Bastille, sous le commandement d'Hullin, étaient
sur la place en armes; les ouvriers, qui démolissaient la forteresse,
crurent qu'on les envoyait contre eux. Maillard s'interposa, prévint la
collision. À la Ville, il fut assez heureux pour empêcher l'incendie. Les
femmes promettaient même de ne point laisser entrer d'hommes; elles
avaient mis leurs sentinelles armées à la grande porte. À onze heures,
les hommes attaquent la petite porte qui donnait sous l'arcade
Saint-Jean. Armés de leviers, de marteaux, de haches et de piques, ils
forcent la porte, forcent les magasins d'armes. Parmi eux, se trouvait un
garde française, qui le matin avait voulu sonner le tocsin, qu'on avait
pris sur le fait; il avait, disait-il, échappé par miracle; les modérés, aussi
furieux que les autres, l'auraient pendu sans les femmes, il montrait son
cou sans cravate, d'où elles avaient ôté la corde... Par représailles, on
prit un homme de la Ville pour le pendre; c'était le brave Lefebvre, le
distributeur des poudres au 14 juillet; des femmes ou des hommes
déguisés en femmes, le pendirent effectivement au petit clocher; l'une
ou l'un d'eux coupa la corde, il tomba, étourdi seulement, dans une salle,
vingt-cinq pieds plus bas.
Ni Bailly ni la Fayette n'étaient arrivés. Maillard va trouver l'aide-major
général, et lui dit qu'il n'y a qu'un moyen de finir tout, c'est que lui,
Maillard, mène les femmes à Versailles. Ce voyage donnera le temps
d'assembler des forces. Il descend, bat le tambour, se fait écouter. La
figure froidement tragique du grand homme noir fit bon effet dans la
Grève; il parut homme prudent, propre à mener la chose à bien. Les
femmes, qui déjà partaient avec les canons de la Ville, le proclament
leur capitaine. Il se met en tête avec huit ou dix tambours; sept ou huit

mille femmes suivaient, quelques centaines d'hommes armés, et enfin,
pour arrière-garde, une compagnie des volontaires de la Bastille.
Arrivés aux Tuileries, Maillard voulait suivre le quai, les femmes
voulaient passer triomphalement sous l'horloge, par le palais et le jardin.
Maillard, observateur des formes, leur dit de bien remarquer que c'était
la maison du roi, le jardin du roi; les traverser sans permission, c'était
insulter le roi. Il s'approcha poliment du suisse, et lui dit que ces dames
voulaient passer seulement, sans faire le moindre dégât. Le suisse tira
l'épée, courut sur Maillard, qui tira la sienne... Une portière
heureusement frappe à propos d'un bâton, le suisse tombe, un homme
lui met la baïonnette à la poitrine. Maillard l'arrête, désarme froidement
les deux hommes, emporte la baïonnette et les épées.
La matinée avançait, la faim augmentait. À Chaillot, à Auteuil, à
Sèvres, il était bien difficile d'empêcher les pauvres affamées de voler
des aliments. Maillard ne le souffrit pas. La troupe n'en pouvait plus à
Sèvres; il n'y avait rien, même à acheter; toutes les portes étaient
fermées, sauf une, celle d'un malade qui était resté; Maillard se fit
donner par lui, en payant, quelques brocs de vin. Puis il désigna sept
hommes, et les chargea d'amener les boulangers de Sèvres, avec tout ce
qu'ils auraient. Il y avait huit pains en tout, trente-deux livres pour huit
mille personnes... On les partagea, et l'on se traîna plus loin. La fatigue
décida la plupart des femmes à jeter leurs armes. Maillard leur fit sentir
d'ailleurs que, voulant faire visite au roi, à l'Assemblée, les toucher, les
attendrir, il ne fallait pas arriver dans cet équipage guerrier. Les canons
furent mis à la queue, et cachés en quelque sorte. Le sage huissier
voulait un amener sans scandale, pour dire comme le palais. À l'entrée
de Versailles, pour bien constater l'intention pacifique, il donna le
signal aux femmes de chanter l'air d'Henri IV.
Les gens de Versailles étaient ravis, criaient: Vivent nos Parisiennes!
Les spectateurs étrangers ne voyaient rien que d'innocent dans cette
foule qui venait demander secours au roi. Un homme, peu favorable à
la Révolution, le Genévois Dumont, qui dînait au palais des
Petites-Écuries, et regardait d'une fenêtre, dit lui-même: «Tout ce
peuple ne demandait que du pain.»

L'Assemblée avait été, ce jour-là, fort orageuse. Le roi, ne voulant
sanctionner ni la Déclaration des droits, ni les arrêtés du 4 août,
répondait qu'on ne pouvait juger des lois constitutives que dans leur
ensemble, qu'il y accédait néanmoins, en considération des
circonstances alarmantes, et à la condition expresse que le pouvoir
exécutif reprendrait toute sa force.
«Si vous acceptez la lettre du roi, dit Robespierre, il n'y a plus de
constitution, aucun droit d'en avoir une.» Duport, Grégoire, d'autres
députés, parlent dans le même sens. Pétion rappelle, accuse l'orgie des
gardes du corps. Un député, qui lui-même avait servi parmi eux,
demande, pour leur honneur, qu'on formule la dénonciation, et que les
coupables soient poursuivis. «Je dénoncerai, dit Mirabeau, et je signerai,
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