Les Femmes de la Révolution | Page 7

Jules Michelet
qui
pérorait, elle se fait écouter; c'était une femme de trente-six ans, bien
mise, honnête, mais forte et hardie. Elle veut qu'on aille à Versailles,
elle marchera à la tête. On plaisante, elle applique un soufflet à l'un des
plaisants. Le lendemain, elle partit des premières, le sabre à la main,
prit un canon à la Ville, se mit à cheval dessus, et le mena à Versailles,
la mèche allumée.
Parmi les métiers perdus qui semblaient périr avec l'ancien régime, se
trouvait celui de sculpteur en bois. On travaillait beaucoup en ce genre,
et pour les églises, et pour les appartements. Beaucoup de femmes
sculptaient. L'une d'elles, Madeleine Chabry, ne faisant plus rien, s'était
établie bouquetière au quartier du Palais-Royal, sous le nom de
Louison; c'était une fille de dix-sept ans, jolie et spirituelle. On peut
parier hardiment que ce ne fut pas la faim qui mena celle-ci à Versailles.
Elle suivit l'entraînement général, son bon coeur et son courage. Les
femmes la mirent à la tête, et la firent leur orateur.
Il y en avait bien d'autres que la faim ne menait point. Il y avait des
marchandes, des portières, des filles publiques, compatissantes et
charitables, comme elles le sont souvent. Il y avait un nombre
considérable de femmes de la halle; celles-ci fort royalistes, mais elles
désiraient d'autant plus avoir le roi à Paris. Elles avaient été le voir
quelque temps avant cette époque, je ne sais à quelle occasion; elles lui
avaient parlé avec beaucoup de coeur, une familiarité qui fit rire, mais
touchante, et qui révélait un sens parfait de la situation: «Pauvre
homme! disaient-elles en regardant le roi, cher homme! bon papa!»--Et
plus sérieusement à la reine: «Madame, madame, ouvrez vos
entrailles!... ouvrons-nous!» Ne cachons rien, disons bien franchement
ce que nous avons à dire.
Ces femmes des marchés ne sont pas celles qui souffrent beaucoup de
la misère; leur commerce, portant sur les objets nécessaires à la vie, a

moins de variations. Mais elles voient la misère mieux que personne, et
la ressentent; vivant toujours sur la place, elles n'échappent pas, comme
nous, au spectacle des souffrances. Personne n'y compatit davantage,
n'est meilleur pour les malheureux. Avec des formes grossières, des
paroles rudes et violentes, elles ont souvent un coeur royal, infini de
bonté. Nous avons vu nos Picardes, les femmes du marché d'Amiens,
pauvres vendeuses de légumes, sauver le père de quatre enfants qu'on
allait guillotiner; c'était le moment du sacre de Charles X; elles
laissèrent leur commerce, leur famille, s'en allèrent à Reims, elles firent
pleurer le roi, arrachèrent la grâce, et, au retour, faisant entre elles une
collecte abondante, elles renvoyèrent sauvés, comblés, le père, la
femme et les enfants.
Le 5 octobre, à sept heures, elles entendirent battre la caisse, et elles ne
résistèrent pas. Une petite fille avait pris un tambour au corps de garde,
et battait la générale. C'était lundi; les halles furent désertées, toutes
partirent: «Nous ramènerons, disent-elles, le boulanger, la boulangère...
Et nous aurons l'agrément d'entendre notre petite mère Mirabeau.»
Les halles marchent, et, d'autre part, marchait le faubourg
Saint-Antoine. Sur la route, les femmes entraînaient toutes celles
qu'elles pouvaient rencontrer, menaçant celles qui ne viendraient pas de
leur couper les cheveux. D'abord, elles vont à la Ville. On venait d'y
amener un boulanger qui, sur un pain de deux livres, donnait sept onces
de moins. La lanterne était descendue. Quoique l'homme fût coupable,
de son propre aveu, la garde nationale le fit échapper. Elle présenta la
baïonnette aux quatre ou cinq cents femmes déjà rassemblées. D'autre
part, au fond de la place, se tenait la cavalerie de la garde nationale. Les
femmes ne s'étonnèrent point. Elles chargèrent la cavalerie, l'infanterie,
à coups de pierres; on ne put se décider à tirer sur elles; elles forcèrent
l'Hôtel de Ville, entrèrent dans tous les bureaux. Beaucoup étaient assez
bien mises, elles avaient pris une robe blanche pour ce grand jour. Elles
demandaient curieusement à quoi servait chaque salle, et priaient les
représentants des districts de bien recevoir celles qu'elles avaient
amenées de force, dont plusieurs étaient enceintes, et malades peut-être
de peur. D'autres femmes, affamées, sauvages, criaient: Du pain et des
armes! Les hommes étaient des lâches, elles voulaient leur montrer ce

que c'était que le courage... Tous les gens de l'Hôtel de Ville étaient
bons à pendre, il fallait brûler leurs écritures, leurs paperasses... Et elles
allaient le faire, brûler le bâtiment peut-être... Un homme les arrêta, un
homme de taille très-haute, en habit noir, d'une figure sérieuse et plus
triste que l'habit. Elles voulaient le tuer d'abord, croyant qu'il était de la
Ville, disant qu'il était un traître... Il répondit qu'il n'était pas traître,
mais huissier de son métier, l'un des vainqueurs de la Bastille. C'était
Stanislas Maillard.
Dès le matin, il avait utilement travaillé dans le
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