parie, qui t'annonce une parure de
brillants?
--Non.
--De la tante d'Érivan, qui t'envoie une paire de chats angora, pour ton
cadeau de noces?
--Non plus. C'est d'une personne étrangère... C'est... d'un monsieur...
--Un monsieur! Quelle horreur!... Un monsieur! Petit monstre que tu
es!...
Et, comme elle tendait sa lettre, contente de son effet, deux ou trois
jolies têtes blondes,--du blond vrai et du blond faux,--se précipitèrent
ensemble pour voir tout de suite la signature.
"André Lhéry!... Non! Alors il a répondu?... C'est de lui?...
Pas possible..."
Tout ce petit monde avait été mis dans la confidence de la lettre écrite
au romancier. Chez les femmes turques d'aujourd'hui, il y a une telle
solidarité de révolte contre le régime sévère des harems, qu'elles ne se
trahissent jamais entre elles; le manquement fût-il grave, au lieu d'être
innocent comme cette fois, ce serait toujours même discrétion, même
silence.
On se serra pour lire ensemble, cheveux contre cheveux, y compris
mademoiselle Bonneau de Saint-Miron, en se tiraillant le papier. A la
troisième phrase, on éclata de rire:
"Oh! tu as vu!... Il prétend que tu n'es pas Turque!... Impayable, par
exemple!... Il s'y connaît même si bien, paraît-il, que le voilà tout à fait
sûr que non!
--Eh! mais c'est un succès, ça, ma chère,--lui dit Zeyneb, l'aînée des
cousines,--ça prouve que le piquant de ton esprit, l'élégance de ton
style...
--Un succès,--contesta la petite rousse au nez en l'air, au minois
toujours comiquement moqueur,--un succès!... Si c'est qu'il te prend
pour une _Pérote_, merci de ce succès-là."
Il fallait entendre comment était dit ce mot _Pérote_ (habitante du
quartier de Péra). Rien que dans la façon de le prononcer, elle avait mis
tout son dédain de pure fille d'Osmanlis pour les Levantins ou
Levantines (Arméniens, Grecs ou Juifs) dont le Pérote représente le
prototype (1)
(1) Tout en me rangeant à l'avis des Osmanlis sur la généralité des
Pérotes, je reconnais avoir rencontré parmi eux d'aimables exceptions,
des hommes parfaitement distingués et respectables, des femmes qui
seraient trouvées exquises dans n'importe quel pays et quel monde.
(Note de l'auteur.)
"Ce pauvre Lhéry,--ajouta Kerimé, l'une des jeunes invitées,--il
retarde!... Il en est sûrement resté à la Turque des romans de 1830:
narguilé, confitures et divan tout le jour.
--Ou même simplement,--reprit Mélek, la petite rousse au bout de nez
narquois,--simplement à la Turque du temps de sa jeunesse. C'est qu'il
doit commencer à être marqué, tu sais, ton poète!..."
C'était pourtant vrai, d'une vérité incontestable, qu'il ne pouvait plus
être jeune, André Lhéry. Et, pour la première fois, cette constatation
s'imposait à l'esprit de sa petite amoureuse inconnue, qui n'avait jamais
pensé à cela: constatation plutôt décevante, dérangeant son rêve, voilant
de mélancolie son culte pour lui...
Malgré leurs airs de sourire et de railler, elles l'aimaient toutes, cet
homme lointain et presque impersonnel, toutes celles qui étaient là;
elles l'aimaient pour avoir parlé avec amour de leur Turquie, et avec
respect de leur Islam. Une lettre de lui écrite à l'une d'elles était un
événement dans leur vie cloîtrée où, jusqu'à la grande catastrophe
foudroyante du mariage, jamais rien ne se passe. On la relut à haute
voix. Chacune désira toucher ce carré de papier où sa main s'était posée.
Et puis, étant toutes graphologues, elles entreprirent de sonder le
mystère de l'écriture.
Mais une maman survint, la maman des deux soeurs, et vite, avec un
changement de conversation, la lettre disparut, escamotée. Non pas
qu'elle fût bien sévère, cette maman-là, au si calme visage, mais elle
aurait grondé tout de même, et surtout n'eût pas su comprendre; elle
était d'une autre génération, parlant peu le français et n'ayant lu
qu'Alexandre Dumas père. Entre elle et ses filles, un abîme s'était
creusé, de deux siècles au moins, tant les choses marchent vite dans la
Turquie d'aujourd'hui. Physiquement même, elle ne leur ressemblait
pas, ses beaux yeux reflétaient une paix un peu naïve qui ne se
retrouvait point dans le regard des admiratrices d'André Lhéry: c'est
qu'elle avait borné son rôle terrestre à être une tendre mère et une
épouse impeccable, sans en chercher plus. D'ailleurs, elle s'habillait mal
en Européenne, et portait gauchement encore des robes trop
surchargées, quand ses enfants au contraire savaient déjà être si
élégantes et fines dans des étoffes très simples.
Maintenant se fut l'institutrice française de la maison qui fit son
entrée,--genre Esther Bonneau, en plus jeune, en plus romanesque
encore. Et comme la chambre était vraiment trop encombrée, avec tant
de monde, de robes jetées sur les chaises et de matelas par terre, on
passa dans une plus grande pièce voisine, "modern style", qui était le
salon du harem.
Surgit alors sans frapper, par la porte toujours ouverte, une grosse dame
allemande à lunettes, en chapeau lourdement empanaché, amenant par
la main Fahr-el-Nissâ, la plus jeune des
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