n'était pas toujours clémente, les longues luttes entre Pélasges, Hellènes, Doriens, Ioniens, et aussi les grands cataclysmes naturels dont plusieurs de leurs mythes ont conservé le souvenir, avaient fait aux Grecs une ame à la fois active et résignée, où le plaisir de vivre et d'agir se tempérait par instants de mélancolie fataliste. Après Marathon et Salamine, une sorte de joie héro?que les transporte, et leur génie s'épanouit en oeuvres confiantes et superbes. Non qu'ils aient cessé de croire à la Mo?ra invincible; mais peut-être est-elle intelligente: elle leur a laissé faire de si grandes choses! Surtout ils adorent la beauté et savent l'exprimer sans y faire effort. Par la parole ou par les contours ils ont traduit les énergies de la Nature et celles du corps et de l'ame sous une forme qui les glorifie sans les altérer, où la plénitude et la spontanéité de l'impression produisent la grace, qui est la marque de ces divins artistes. Leur vie même, qui les exer?ait tout entiers, était comme une oeuvre d'art dont ils s'enchantaient. Vraiment ils ont d? être heureux. Leur existence n'avait point de vide où se p?t introduire le désespoir. Ils vivaient sous le destin et ils le savaient, mais ils ne s'occupaient que de vivre, et de vivre ici-bas. Ils s'accommodaient admirablement d'être hommes; ils connaissaient ce que cela vaut depuis que trente mille Grecs avaient vaincu un million de Barbares. L'horreur en face de l'inconnu et la révolte contre ce qui est n'étaient chez eux que des sentiments passagers; leur activité les sauvait de tout. Si la passion est fatale, elle ne va pas sans volupté. Si l'homme est opprimé par quelque chose de plus fort que lui, la résistance est bonne, f?t-elle sans succès. La palestre, l'Agora, les Dionysiaques et les Panathénées leur étaient de suffisantes raisons de consentir à voir la lumière et empêchaient la maladie métaphysique de devenir jamais mortelle à ce peuple subtil. Plus tard, quand ils eurent perdu la liberté, à Alexandrie, en Sicile, ils se consolaient encore par leur belle mythologie, par les symboles sensuels de leur religion naturaliste et par des rêves de vie pastorale dans la campagne divinisée.
[Note 8: OEdipe à Colone.]
[Note 9: Polymnie, 46.]
[Note 10: énéide, IX.]
[Note 11: Iliade, III.]
[Note 12: Hérodote, Polymnie, 47.]
Or la sérénité de leur fatalisme, de leurs révoltes et de leurs joies, et tout ce qu'il y a d'humain dans leurs mythes revit aux poèmes de M. Leconte de Lisle. Il a passionnément aimé ces amants de la vie et de la beauté.--Nous sommes loin de Hari formidable et inintelligible. Salut, dit le poète à Vénus de Milo,
Salut! à ton aspect le coeur se précipite; Un flot marmoréen inonde tes pieds blancs; Tu marches fière et nue, et le monde palpite, Et le monde est à toi, déesse aux larges flancs!
Au sortir des lourdes somnolences bouddhiques, il dit les tristesses viriles de la muse grecque. Il nous montre, en deux drames dont la forme imite d'assez près les tragédies d'Eschyle, l'aventure fatale d'Hélène amante de Paris, et d'Oreste vengeur de son père et meurtrier de sa mère. Mais aussit?t surgissent les rebelles, chers au poète de Ka?n: c'est Khir?n puni pour avoir rêvé des dieux meilleurs que ceux de l'Olympe; c'est Niobé, fidèle aux Titans vaincus, qui auront leur jour et qui rétabliront le règne de la Justice.--Enfin, il se repose de ces graves histoires dans l'adoration de la beauté physique. Viennent alors les idylles, Glaucé, Klytie, Kléariste, la Source, etc., songes d'amour enchanté, tout près de la nature, pleins d'images ravissantes, presque sans pensée. Dirai-je qu'il manque à ces églogues, pour être entièrement grecques, le ?je ne sais quoi? que Chénier seul a connu par un extraordinaire privilège? M. Leconte de Lisle a peu de na?veté, et il serait na?f de s'en étonner ou de s'en plaindre.
VIII
Mais la Grèce était trop petite pour contenir toute la race humaine, et c'est vraiment dommage. Plus loin, vers l'Occident et vers le Nord, s'avan?ait le flot des tribus voyageuses. Les plus durs, les plus robustes et les plus inquiets, dans leur besoin de mouvement et leur soif d'inconnu, allaient toujours devant eux, jusqu'aux régions du brouillard et de l'hiver.
Vieillards, bardes, guerriers, enfants, femmes en larmes, L'innombrable tribu partit, ceignant ses flancs, Avec tentes et chars et les troupeaux beuglants; Au passage entaillant le granit de ses armes, Rougissant les déserts de mille pieds sanglants. ....................... Une mer apparut, aux hurlements sauvages.... Et cette mer semblait la gardienne des mondes Défendus aux vivants, d'où nul n'est revenu; Mais, l'ame par delà l'horizon morne et nu, De mille et mille troncs couvrant les noires ondes, La foule des Kimris vogua vers l'inconnu[13].
[Note 13: Le Massacre de Mona.]
Arrivés au terme de leur énergique pèlerinage, ils eurent à lutter contre une nature rude et pauvre de soleil, dont l'inhumanité

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