poème de Baghavat; mais voulez-vous y trouver un charme poignant? Unissez-vous de coeur, cela est aisé, avec les trois Brahmanes dans la haine de la vie, dans le sentiment que rien ne sert à rien et que toute passion apporte plus de peine que de joie; et pénétrez-vous de cet hymne lugubre:
Une plainte est au fond de la rumeur des nuits, Lamentation large et souffrance inconnue Qui monte de la terre et roule dans la nue; Soupir du globe errant dans l'éternel chemin, Mais effacé toujours par le soupir humain. Sombre douleur de l'homme, ? voix triste et profonde, Plus forte que les bruits innombrables du monde, Cri de l'ame, sanglot du coeur supplicié, Qui t'entend sans frémir d'amour et de pitié? Qui ne pleure sur toi, magnanime faiblesse, Esprit qu'un aiguillon divin excite et blesse, Qui t'ignores toi-même et ne peux te saisir, Et, sans borner jamais l'impossible désir, Durant l'humaine nuit qui jamais ne s'achève, N'embrasse l'infini qu'en un sublime rêve!... ? conquérant vaincu, qui ne pleure sur toi?
Maitreya se souvient d'une jeune fille, Narada pleure sa mère morte, Angira cherche et doute. Tous trois souffrent et voudraient oublier. La déesse Ganga les entend et leur dit d'aller à Baghavat. Ils se lèvent, gravissent la divine montagne où siège Baghavat et, sortant de l'Illusion qui enveloppe le dieu, entrent en lui et s'unissent à l'Essence première.
Heureux Maitreya! Heureux Narada! Heureux Angira!--Pourtant, s'il est s?r que la vie est foncièrement mauvaise, il ne l'est pas moins qu'elle semble douce à certaines heures et que les passions nous enivrent délicieusement avant de nous meurtrir.--?unacépa est un acheminement vers une philosophie moins hostile à l'illusion et à l'action. Le fils du Richi, qui doit, à peu près comme Iphigénie, être immolé pour expier la faute du roi Maharadjah, aime ?anta et ne veut pas mourir, et ?anta ne veut pas qu'il meure. Les deux enfants vont consulter le vieil ascète Vi?vaméthra. Si desséché qu'il soit par l'extase, si avant qu'il se soit enfoncé dans le nirvana, le solitaire, ?rêvant comme un dieu fait d'un bloc sec et rude?, sent à leur voix suppliante remuer en lui quelque chose d'humain et ?entend chanter l'oiseau de ses jeunes années?. Il révèle à ?unacépa qu'il échappera à la mort en récitant sept fois l'hymne sacré d'Indra. En effet, au moment du sacrifice, un étalon prend la place de la victime.--Maudite soit la vie! et que les brahmanes rêvent, et que la vision s'évanouisse dans leurs yeux fixes, le sentiment dans leur coeur et la pensée dans leur cerveau! Le sang de la jeunesse sera toujours prompt à la duperie de Maya. Rien n'est meilleur que l'amour du néant; mais rien aussi n'est meilleur que l'amour, et c'est pourquoi le monde dure encore.
VII
Ils ne s'en plaignaient point, ces nobles Grecs pour qui M. Leconte de Lisle finit par délaisser les mornes buveurs de l'eau sacrée du Gange. Le go?t de l'action se réveille sous un ciel moins accablant qui permet la lutte, et le sens de la beauté vit et se développe dans une nature aux contours harmonieux et modérés, dans une lumière qui réjouit et n'aveugle point. Toutefois l'obsession du Destin et le sentiment de la vanité de toutes choses ont suivi l'humanité dans ses immigrations vers l'Occident. Longtemps, sous la sérénité de la forme, la poésie grecque a caché de profondes tristesses. Sophocle pense que le meilleur est de n'être pas né ou de vivre peu[8]. Les larmes orientales de Xerxès, Hérodote les a pleurées. ?Il m'est venu une pitié au coeur, dit le roi, ayant calculé combien est brève toute existence humaine, puisque de tous ceux-là, qui sont si nombreux, nul dans cent ans ne survivra.--Ce n'est pas là, répond Arbatane, ce qu'il y a dans la vie de plus déplorable; car, malgré sa brièveté, il n'est point d'homme tellement heureux que pour un motif ou pour un autre il n'ait souhaité, non une fois, mais souvent, de mourir plut?t que de vivre. Cette vie si courte, les maladies qui la troublent, les calamités qui surviennent la font para?tre longue. Ainsi la mort, à cause de l'amertume de la vie, est pour l'homme le refuge le plus désirable, et la divinité qui nous fait go?ter quelque douceur à vivre s'en montre aussit?t jalouse[9].?--Prométhée, l'Orestie, OEdipe roi nous montrent l'homme instrument et jouet du destin. Ou bien il subit ses passions qu'il dit lui être envoyées par les dieux: Sua cuique deus fit dira cupido[10].--?Chère fille, dit Priam à Hélène, à mes yeux tu n'es point coupable, mais les dieux[11].? Voyez aussi la Phèdre d'Euripide.--Qu'importe! chez cette merveilleuse race, l'homme aime l'action, même quand il la sait inutile et décevante. ?Laissons ces discours sur l'existence humaine, quoiqu'elle soit ce que tu la décris[12].? Les durs commencements dans une terre toute neuve et qui
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