eut, comme tant d'autres, le tort de croire
à l'honnêteté d'un gredin de lettres. Mais puisque le mal est fait, il n'est
pas mauvais que la postérité connaisse aussi le nom de celui qui
récompensa par le plus lâche des abandons l'amour le plus pur et le plus
désintéressé.
«Vous avez été vous-même un peu dur et un peu ironique pour cette
pauvre Marceline, mais... l'on ne saurait trop vous en vouloir, car vous
avez dit ses vérités au Latouche sans le connaître.»
Ce n'est pas fini. Je disais, dans mon dernier feuilleton, que Marceline
avait tu son secret à Valmore, n'ayant le courage ni de renoncer à la
part de bonheur qu'elle pouvait encore attendre, ni de désespérer un
brave garçon par l'inutile révélation d'une aventure dont les suites
matérielles étaient totalement abolies. Or, M. Lacaussade a affirmé à M.
Gaston Stiegler que Marceline «avait le coeur trop haut pour mentir à
celui qui lui offrait son nom et pour ne pas lui avouer loyalement, avant
de l'épouser, son passé et sa faiblesse.» Elle le fit, comme M.
Lacaussade l'a su par M. Hippolyte Valmore; et «c'est un beau trait de
caractère, qui achève d'ennoblir une belle figure.» Soit; mais, si
Valmore savait tout, j'ai beaucoup de peine à m'expliquer les
faux-fuyants par lesquels Marceline répondait à ses accès de jalousie.
Elle n'avait qu'une chose à dire: «Je ne l'aime plus, et je le méprise.» Or,
elle s'évertue dans ses réponses en explications détournées, et ne fait
même jamais la moindre allusion à son aventure. J'en avais conclu,
assez raisonnablement, que cette aventure était ignorée de Valmore.
Mon impression, c'est que, si Marceline se confessa à son mari, comme
l'affirme M. Lacaussade, ce fut plus tard, et après 1839. Aussi bien, à
partir de cette date, on ne trouve plus, dans la Correspondance intime,
trace de ces querelles jalouses. Valmore a cessé de trouver étrange
l'ardeur de certains vers de sa femme. Il ne s'en inquiète plus, parce
qu'il est fixé. Est-ce que je me trompe?
Petite remarque, non tout à fait insignifiante, je crois:--La seconde fille
de Marceline, née en 1821, qu'on appelait Ondine et que Sainte-Beuve
dut épouser, s'appelait en réalité Hyacinthe. Vous avez vu que c'était un
des prénoms de Latouche. J'en conclus que, plus de dix ans après son
abandon, Marceline gardait à son séducteur un sentiment qui n'était
point de la haine. Si l'on pouvait savoir à quelle époque elle changea le
nom d'Hyacinthe en celui d'Ondine, on saurait peut-être, du même coup,
la date de la guérison de son pauvre coeur. Ne le pensez-vous pas?
Enfin, j'ai reçu de M. Benjamin Rivière, l'éditeur de la Correspondance
intime, une lettre fort intéressante:
«Vous ne me faites pas le reproche d'avoir mis Marceline nue devant
les siècles»; je vous en suis reconnaissant.
«Si la correspondance que j'ai publiée m'avait appartenu, j'aurais hésité
à la faire paraître. Mais elle est dans une collection publique, la
bibliothèque de la ville de Douai, où MM. Valmore père et fils l'ont
déposée. Évidemment ils en ont retiré ce qu'ils ont voulu. Leur
intention, du reste, était de publier ces lettres, toutes ou en partie, et, en
les éditant, je n'ai que réalisé leur désir.
«... La première partie de votre étude a peiné les amis de Mme Valmore;
ils ont été attristés par votre ton un peu... railleur. Quant à moi, j'en
attends la continuation avec confiance...»
M. Rivière a bien raison. Et je prie respectueusement M. Lacaussade de
ne plus me reprocher «le ton narquois et boulevardier» de cette étude
(moi, boulevardier!) avant d'en avoir vu la fin.
4 mai 1896.
... Eh bien, non, le séducteur de Marceline, ce n'est plus Henri de
Latouche!
Je reçois de M. Benjamin Rivière la lettre suivante:
«Oui, M. de Latouche est un «mufle», mais non pas «le mufle».
J'espère que votre conviction sera faite sur ce point, après la lecture des
fragments de lettres originales adressées par Mme Desbordes-Valmore
à son mari, fragments que je viens de réunir pour vous.
«Vous y verrez que les relations entre Henri de Latouche et la famille
Valmore étaient de pure amitié. Le prénom d'Hyacinthe a pu être donné
à la fille aînée de Mme Desbordes-Valmore à cause de ce monsieur,
mais seulement en raison de cette amitié.
«Il faut accueillir avec défiance les racontars, de quelque source qu'ils
viennent... Ainsi on disait, il y a quelque cinquante ans, dans un salon
littéraire de Paris (mettez l'Arsenal), que M. de Latouche avait été
l'amant de Mme Valmore, qu'Ondine était sa fille, et que l'on s'était
séparé parce qu'il avait voulu séduire la jeune fille. Ce dernier point
seul est exact. Il faudrait donc admettre que Marceline aurait conservé,
après son mariage, des relations avec son amant et qu'elle l'aurait fait
entrer dans l'intimité de son mari.
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