combien habile! ?... La poésie n'est qu'un monstre, si elle altère ma seule félicité, notre union. Je t'ai dit une fois, je te répète ici, que j'ai fait beaucoup d'élégies et de romances de commande sur des sujets donnés, dont quelques-unes n'étaient pas destinées à voir le jour. Notre misère en a ordonné autrement. Bien des pleurs et des plaintes de Pauline se sont produites dans ces vers que tu aimes, et dont elle est, en effet, le premier auteur. Après quoi notre vie a été si grave, si isolée... que je n'ai pas, je te l'avoue, donné une attention bien profonde à la confection de ces livres que notre sort nous a fait une obligation de vendre. Toute ton indulgence sur le talent, que je dédaignerais complètement sans le prix que ton go?t y attache, ne me console pas d'une arrière-pensée pénible qu'il aura fait na?tre en moi... Tu vois que j'avais raison, mon bon ange, en n'éprouvant pas l'ombre de contentement d'avoir employé du temps à barbouiller du papier au lieu de coudre nos chemises, que j'ai pourtant taché de tenir bien en ordre, tu le sais, toi, cher camarade d'une vie qui n'a été à charge à personne.?
Il suit peut-être de ces jalousies sans cesse recommen?antes que, dans cette union bizarre, c'était le jeune mari qui aimait le plus; et cela est assurément flatteur pour notre Marceline.
27 avril 1896.
... Mais enfin qui donc fut l'amant de la pauvre Marceline Desbordes? Il para?t que la question est excitante, car elle m'a valu tout un paquet de lettres.
Et, d'abord, rassurez-vous: ce n'est ni Esménard, ni Luce de Lancival, ni Baour-Lormian. Et ce n'est pas non plus Saint-Marc Girardin, comme le voulait d'abord un de mes correspondants, qui s'est ravisé ensuite, ayant fait réflexion que ledit Saint-Marc n'aurait eu que sept ans au moment de cette rencontre.
Un autre m'écrit: ?... Ce nom, que Marceline Desbordes-Valmore voile de cette indication,
Tu sais que dans le mien le ciel daigna l'écrire,
ne serait-il pas celui d'un des Marcellus? soit le comte Auguste de Marcellus, ou celui de son fils André-Charles? Dans la correspondance de Chateaubriand, ce nom de Marcellus revient souvent, et aussi dans le journal d'Alexandrine d'Alopens (Mme Albert de La Ferronnays).?
Quand j'ai re?u cette lettre, je venais d'arriver, en feuilletant le Bouillet, aux mêmes conclusions. Ou, plus exactement, j'écartais André-Charles, qui n'aurait eu que seize ans à l'époque du malheur de Marceline; mais j'inclinais à croire que son père, le comte Auguste du Tirac, comte de Marcellus-Demartin, auteur d'Odes sacrées, de Cantates sacrées, et d'une traduction des Bucoliques de Virgile, étant né en 1776, pourrait bien être le séducteur cherché.
Mais non, il para?t que ce n'est pas lui. Et, bien que cela lui soit sans doute égal, je fais mes sincères excuses à cet honnête mort d'avoir failli porter sur lui un jugement téméraire.
Un troisième correspondant a eu une autre idée: ?... Les vers que vous citez:
Ton nom... Tu sais que dans le mien le ciel daigna l'écrire,
me semblent s'appliquer parfaitement à Saint-Marcellin, fils naturel de Fontanes, auteur dramatique et journaliste, et qui fut tué en duel en 1819 ou 1820.?
Eh bien! non, il para?t que ce n'est pas non plus Saint-Marcellin.
Pendant que les lettres pleuvaient chez moi, M. Auguste Lacaussade révélait à M. Gaston Stiegler, rédacteur à l'écho de Paris, la moitié de ce mystère: ?... L'amant ne s'appelait pas Marc, ni Marcel, mais Henri. On lui doit (c'est une fa?on de parler) des vers, des romans et des pièces de théatre. Il eut quelque notoriété. Il ne fut point marié, ne laissa pas d'enfants et mourut aux environs de Paris, à Aulnay-lès-Bondy.?
Voilà qui va bien. Par malheur il serait assez difficile de retrouver dans ?Henri? ?Marceline?... Une femme, qui porte un nom honoré dans les lettres, a bien voulu débrouiller pour moi cette énigme:
?Monsieur, puisque la triste histoire de Marceline Desbordes-Valmore vous intéresse, je crois devoir vous révéler que l'abominable ?mufle? qui l'a si indignement lachée n'est autre que Henri de Latouche.
?Ses véritable prénoms étaient: Hyacinthe-Joseph-Alexandre; ceux de Mme Valmore: Marceline-Félicité-Josèphe.
?Une de vos hypothèses est donc pleinement réalisée. Je tiens ces renseignements de mon vieil ami Auguste Lacaussade. Il n'en fait pas mystère.
?Nous eussions préféré sans doute qu'on ne f?t pas tant de bruit autour de la tombe d'une femme qui eut, comme tant d'autres, le tort de croire à l'honnêteté d'un gredin de lettres. Mais puisque le mal est fait, il n'est pas mauvais que la postérité connaisse aussi le nom de celui qui récompensa par le plus lache des abandons l'amour le plus pur et le plus désintéressé.
?Vous avez été vous-même un peu dur et un peu ironique pour cette pauvre Marceline, mais... l'on ne saurait trop vous en vouloir, car vous avez dit ses vérités au Latouche sans le conna?tre.?
Ce n'est pas fini. Je disais, dans mon
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