devant toi?... Je n'en veux à personne de t'avoir trouvé aimable, mon cher mari. N'avaient-elles pas à me pardonner d'être ta femme, et, franchement, de ne pas mériter un tel bonheur?... Les rêves tristes du passé n'existent plus pour moi. Je te prie de les traiter toi-même avec indulgence et de ne rien ha?r de ce qui t'a aimé...?
Qu'est-ce à dire? Au fond, cette absence de jalousie signifie que Marceline a eu pour son jeune mari une tendresse très sincère et très profonde, et la plus candide admiration, mais qu'elle a toujours aimé ?l'autre?, le séducteur, l'ingrat, et qu'elle n'a jamais aimé que lui, au sens entier et redoutable du mot. Cela éclate, dans cette correspondance, en traits bien significatifs. En 1836 (vingt ans après sa triste aventure), Marceline écrit à son amie, la chanteuse Pauline Duchambge, qui venait d'être lachée, si j'ai bien compris, par le père Auber: ?Tu es triste? Ne sois pas triste, mon bon ange, ou du moins lève-toi sous ce fardeau de douleurs que je comprends, que je partage. Toutes les humiliations tombées sur la terre à l'adresse de la femme, je les ai re?ues. Mes genoux ploient encore, et ma tête est courbée comme la tienne, sous des larmes encore bien amères.? Les mots soulignés dans ce passage l'ont été par Marceline elle-même.--En 1838, le ménage Valmore est venu jouer à Milan. Marceline écrit à Pauline Duchambge: ?Je t'envoie comme un sourire mon premier chant d'Italie. Leurs voiles, leurs balcons, leurs fleurs m'ont soufflé cela, et c'est à toi que je le dédie. Venir en Italie pour guérir un coeur blessé à mort d'amour, c'est étrange et fatal.? Le mot ?amour? a été effacé dans le texte original, et cette rature est étrangement expressive. Deux mois plus tard, les Valmore sont sur le pavé de Milan, abandonnés, avec leurs deux petites filles, par un impresario en faillite. Marceline écrit à sa confidente: ?Valmore a horriblement souffert; mais il ne se consolera jamais de ne nous avoir pas fait voir Rome.? Puis, sans autre transition: ?Et moi, sais-tu ce que je regrette de cette belle Rome? La trace rêvée qu'il y a laissée de ses pas, de sa voix si jeune alors, si douce toujours, si éternellement puissante sur moi.? C'est elle-même encore qui souligne. ?Je ne demanderais à Rome que cette vision; je ne l'aurai pas.? Il, c'est ?l'autre?, celui qui est parti et n'est pas revenu.
J'ai voulu ce matin te rapporter des roses; Mais j'en avais tant pris dans mes ceintures closes, Que les noeuds trop serrés n'ont pu les contenir.
Les noeuds ont éclaté. Les roses envolées Dans le vent, à la mer s'en sont toutes allées. Elles ont suivi l'eau pour ne plus revenir.
La vague en a paru rouge et comme enflammée. Ce soir, ma robe encore en est tout embaumée... Respires-en sur moi l'odorant souvenir.
Oui, Marceline a vécu d'un souvenir. Souvenir ?odorant?, mais br?lant aussi à d'autres heures, souvenir ?rouge?, souvenir de sang. C'était si facile à voir que Valmore lui-même en soup?onna quelque chose, et s'en émut à deux ou trois reprises.
Marceline, en l'épousant, avait oublié de lui conter son aventure. Telle Mme de Montaiglin dans Monsieur Alphonse; mon Dieu, oui. Seulement, ici, l'enfant était mort; et puis, c'était si loin! Marceline n'eut le courage ni de renoncer à ce qu'elle pouvait encore attendre de bonheur, ni de désespérer un brave gar?on par l'inutile confession d'un passé dont les traces étaient totalement abolies... S'arrangea-t-elle pour qu'il cr?t l'avoir intacte? ou se soucia-t-il médiocrement qu'elle le f?t (elle avait alors trente et un ans)? Mystère.
Le fait est qu'il ne s'opposa point à la publication des élégies de sa femme (1819), et qu'il en con?ut même quelque fierté. Mais c'était décidément un de ces malheureux qui passent leur vie à ?se raviser?, un eautontim?roumenos ingénieux et plein d'imprévu. Au bout de treize ans, il s'aper?ut que certains vers de ces élégies étaient tout de même diablement br?lants, que ?a n'était pas naturel, qu'il devait y avoir quelque chose là-dessous. Il se dit,--plus élégamment, car il se piquait d'élégance dans ses propos--: ?Sapristi! où ma femme est-elle allée chercher tout cela? Ceci n'est point amour en l'air ni paroles de romances.? Et il lui fit, soit de vive voix, soit par lettres (car ces facheuses idées lui revenaient plus aigrement quand il était seul) des scènes de jalousie. Et Marceline éplorée lui répondait: ?Mais, mon ami, il n'y a rien, je te le jure, rien de rien. C'est Pauline Duchambge et Caroline Branchu qui me content leurs peines; je me mets à leur place; et tout ?a, c'est de la littérature.?
Valmore se laissait convaincre. Mais sept ans plus tard, au cours d'une autre absence de Marceline,--qui avait alors cinquante-trois ans,--son accès le reprenait. Et elle recommen?ait son plaidoyer qui est simplement délicieux, et
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