calme.
-- Parce que cela me forcerait de croire à Celui qui n'existe pas.
Ce disant, il donne du poing sur la table.
Marguerite et Véronique, inquiètes, ont échangé un clin d'oeil, puis
toutes deux reporté vers Julie.
-- Je crois qu'il est temps d'aller se coucher, ma fillette, dit la mère. Fais
vite; nous viendrons te dire adieu dans ton lit.
L'enfant, que les atroces propos et l'aspect démoniaque de son oncle
épouvantent, s'enfuit.
-- Je veux, si je guéris, n'en être obligé qu'à moi-même. Suffit.
-- Eh bien! et le médecin alors? hasarda Marguerite.
-- Je paie ses soins, et je suis quitte.
Mais Julius, sur son registre le plus grave:
-- Tandis que de la reconnaissance envers Dieu vous lierait...
-- Oui, mon frère; et voilà pourquoi je ne prie pas.
-- D'autres ont prié pour toi, mon ami.
C'est Véronique qui parle; elle n'avait jusqu'à présent rien dit. Au son
de cette douce voix connue, Anthime sursaute, perd toute retenue. Des
propositions contradictoires se bousculent sur se lèvres: D'abord on n'a
pas le droit de prier pour quelqu'un contre son gré, de demander une
faveur pour lui sans qu'il en sache; c'est une trahison. Elle n'a rien
obtenu; tant mieux! ça lui apprendra ce qu'elles valent, ses prières! Il y
a de quoi être fier!... Mais peut-être, après tout, qu'elle n'a pas prié
suffisamment?
-- Soyez tranquille: je continue, reprend, aussi doucement que devant,
Véronique. Puis toute souriante, et comme hors du vent de cette colère,
elle raconte à Marguerite que, chaque soir, et sans en manquer un, elle
brûle, au nom d'Anthime, deux cierges, aux côtés de la Madone triviale,
à l'angle nord de la maison, celle-là même devant qui Véronique avait
jadis surpris Beppo se signant. L'enfant gîtait, nichait, tout auprès dans
un renfoncement du mur, où Véronique était sûre de le trouver à heure
dite. Elle n'eût pu atteindre à la niche, placée hors de la porte des
passants; Beppo (c'était à présent un svelte adolescent de quinze ans),
s'agrippant aux pierres et à un anneau de métal), posait les cierges tout
flambants devant la sainte image... Et la conversation, insensiblement
se détournait d'Anthime, se refermait par-dessus lui, les deux soeurs à
présent parlant de la piété populaire si touchante, par quoi la plus fruste
statue est aussi la plus honorée... Anthime était tout submergé. Quoi! ne
suffisait-il pas que, ce matin déjà, derrière son dos, Véronique eût
nourri ses rats? A présent, elle brûle des cierges! pour lui! sa femme! et
compromet Beppo dans cette inepte simagrée... Ah! nous allons bien
voir!...
Le sang monte au cerveau d'Anthime; il étouffe; à ses tempes bat un
tocsin. Dans un immense effort il se dresse en culbutant une chaise; il
renverse sur sa serviette un verre d'eau; il éponge son front... Va-t-il se
trouver mal? Véronique s'empresse: il la repousse d'une main brutale,
s'échappe vers la porte qu'il claque; et déjà dans le corridor on entend
se marche inégale s'éloigner avec l'accompagnement de la béquille
sourd et clopant.
Ce départ brusque laisse nos convives attristés et perplexes. Quelques
instants ils demeurent silencieux.
-- Ma pauvre amie! dit enfin Marguerite. Mais à cette occasion
s'affirme une fois de plus la différence entre le caractère des deux
soeurs. L'âme de Marguerite est taillée dans cette étoffe admirable dont
Dieu fait proprement ses martyrs. Elle le sait et aspire à souffrir. La vie
malheureusement ne lui accorde aucun dommage; comblée de toutes
parts, sa faculté de bon support en est réduite à chercher dans de
menues vexations son emploi; elle met à profit les moindres choses
pour en tirer égratignure; elle s'accroche et se raccroche à tout. Certes
elle sait s'arranger de manière à ce qu'on lui manque; mais Julius
semble travailler à désoeuvrer toujours plus sa vertu; comment
s'étonner, dès lors, qu'elle se montre auprès de lui toujours insatisfaite
et quinteuse? Avec un mari comme Anthime, quelle belle carrière! Elle
se pique à voir sa soeur savoir en profiter si peu; Véronique, en effet, se
dérobe aux griefs; sur son indéfectible onction souriante tout glisse,
sarcasme, moquerie -- et sans doute elle a pris son parti depuis
longtemps de l'isolement de sa vie; Anthime au demeurant n'est pas
méchant pour elle, et peut bien dire ce qu'il veut! Elle explique que s'il
parle fort, c'est qu'il est empêché de remuer; il s'emporterait moins s'il
était plus ingambe; et comme Julius demande où il peut être allé?
-- A son laboratoire, répond-elle; et à Marguerite qui demande si l'on ne
ferait pas bien d'y passer voir -- car il pourrait être souffrant, après une
telle colère! -- elle assure qu'il vaut mieux le laisser se calmer tout seul
et ne pas prêter trop d'attention à sa sortie.
-- Achevons de dîner tranquillement, conclut-elle.
V.
Non, ce n'est pas
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