où Parme fut réuni à la France, et où Robert de Baraglioul, grand-père de Julius, vint s'installer à Pau. En 1828, il re?ut de Charles X la couronne de comte -- couronne que devait porter si noblement un peu plus tard Juste-Agénor, son troisième fils (les deux premiers moururent en bas age), dans les ambassades où brillait son intelligence subtile et triomphait sa diplomatie.
Le deuxième enfant de Juste-Agénor de Baraglioul, Julius, qui depuis son mariage vivait complètement rangé, avait eu quelques passions dans sa jeunesse. Mais, du moins, pouvait-il se rendre cette justice que son coeur n'avait jamais dérogé. La distinction foncière de sa nature et cette sorte d'élégance morale qui respirait dans ses moindres écrits avaient toujours empêchés ses désirs sur la pente où sa curiosité de romancier leur e?t sans doute laché bride. Son sang coulait sans turbulence, mais non pas sans chaleur, ainsi qu'en eussent pu témoigner plusieurs aristocratiques beautés... Et je n'en parlerais pas ici, si ses premiers romans ne l'avaient clairement laissé entendre; à quoi ils durent en partie le grand succès mondain qu'ils remportèrent. La haute qualité du public susceptible de les admirer leur permit de para?tre: l'un dans le Correspondant, deux autres dans la Revue des Deux Mondes. C'est ainsi que, comme malgré lui; encore jeune, il se trouva tout porté vers l'Académie: déjà semblaient l'y destiner sa belle allure, la grave onction de son regard et la paleur pensive de son front.
Anthime professait grand mépris pour les avantages du rang, de la fortune et de l'aspect, ce qui ne laissait pas de mortifier Julius; mais il appréciait chez Julius certain bon naturel, et une grande maladresse dans la discussion, qui souvent laissait à la libre pensée l'avantage.
A six heures, Anthime entend stopper devant la porte la voiture de ses h?tes. Il sort à leur rencontre sur le palier. Julius monte le premier. Avec son chapeau cronstadt, son pardessus droit à revers de soie, on le dirait en tenue de visite, non de voyage, n'était le chale écossais qu'il porte sur l'avant-bras; la longueur du trajet ne l'a nullement éprouvé.
Marguerite de Baraglioul suit, au bras de sa soeur; elle, très défaite au contraire, capote et chignon de travers, trébuchant aux marches, un quartier de visage caché par son mouchoir qu'elle tient en compresse... Comme elle approche d'Anthime.
-- Marguerite a un charbon dans l'oeil, glisse Véronique.
Julie, leur fille, gracieuse enfant de neuf ans, et la bonne, qui ferment la marche, gardent un silence consterné.
Avec le caractère de Marguerite, il ne s'agit pas de prendre la chose en riant: Anthime propose d'envoyer quérir un oculiste; mais Marguerite connait de réputation les médicastres italiens, et ne veut "pour rien au monde" en entendre parler; elle souffle d'une voix mourante:
-- De l'eau fra?che. Un peu d'eau fra?che, simplement. Ah!
-- Ma chère soeur, effectivement, reprend Anthime, l'eau fra?che pourra vous soulager un instant en décongestionnant votre oeil; mais elle n'enlèvera pas le mal.
Puis, se tournant vers Julius:
-- Avez-vous pu voir ce que c'était?
-- Pas très bien. Dès que le train s'arrêtait et que je me proposais d'examiner, Marguerite commen?ait de s'énerver...
-- Mais ne dis donc pas cela, Julius! Tu as été horriblement maladroit. Pour me soulever la paupière, tu as commencé par me retourner tous les cils...
-- Voulez-vous que j'essaie à mon tour, dit Anthime: je serai peut-être plus habile?
Une facchino montait les malles. Caroline alluma une lampe à réflecteur.
-- Voyons, mon ami, tu ne vas pas faire cette opération dans le passage, dit Véronique, et elle mène les Baraglioul à leur chambre.
L'appartement des Armand-Dubois se développait autour de la cour intérieure où prenaient jour les fenêtres d'un couloir qui, partant du vestibule, rejoignait l'orangerie. Sur ce couloir ouvraient les portes de la salle à manger d'abord, puis du salon (énorme pièce d'angle, mal meublée, dont ne se servaient pas les Anthime), de deux chambres d'amis préparées, la première pour le couple Baraglioul, la seconde plus petite pour Julie, auprès de la dernière chambre, celle du couple Armand-Dubois. Toutes ces pièces, d'autre part, communiquaient entre elles intérieurement. La cuisine et deux chambres de bonnes donnaient sur l'autre c?té du palier...
-- Je vous en prie, ne soyez pas tous autour de moi, gémit Marguerite; Julius, occupe-toi donc des bagages.
Véronique a fait asseoir sa soeur dans un fauteuil et tient la lampe, tandis qu'Anthime s'attentionne:
-- Le fait est qu'il est enflammé. Si vous retiriez votre chapeau.
Mais Marguerite, craignant peut-être que sa coiffure en désordre ne laisse para?tre ses éléments d'emprunt, déclare qu'elle ne le retirera que plus tard; un chapeau cabriolet à brides ne l'empêchera pas d'appuyer sa nuque au dossier.
-- Alors vous m'invitez à sortir la paille de votre oeil avant d'?ter la solive qui est dans le mien, dit Anthime avec une sorte de ricanement. Voilà qui me para?t bien contraire aux préceptes évangéliques!
-- Ah! je vous en
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