Lenfer et le paradis de lautre monde | Page 7

Émile Chevalier
resta
attachée à son palais. Elle se releva silencieusement, retourna s'asseoir
dans son coin, et s'enveloppa encore dans la mélancolie de ses pensées.
D'étranges pensées sont aussi en vous, Mordaunt, et votre oeil se
trouble en s'arrêtant sur la belle jeune fille. Elle vous aime, Mordaunt;
oui, elle vous aime. Mais l'amour n'est pas toujours sage, et l'humanité
est très-faible. Elle est votre fille, Mordaunt, et sa misère l'a aveuglée:
prenez garde, car vous l'aimez bien aussi, vous!
Le soir est venu. Le vent a cessé de gronder et de se briser contre la
cabane, la lune filtre les rayons de sa lumière souffreteuse dans le
pauvre logement, et, rassemblés autour des dernières braises mourantes
du bois volé, les habitants parlent de leur prochain départ, demain.
--Mark viendra, n'est-ce pas, Edouard? dit madame Mordaunt. Je me
demande où il a pu être toute la journée. L'as-tu vu depuis ce matin?
--Non, le pauvre enfant, non... Il a presque perdu la tête. C'est un bon
ouvrier, pourtant; aussi ferme à l'ouvrage que pas un. Avant de venir ici,
il était industrieux; mais n'avoir rien à faire! ça lui a dérangé l'esprit.
Aussi n'est-il pas étonnant qu'il soit tombé en mauvaise compagnie! Ce
n'est pas sa faute, non, quoiqu'il ne faudrait pas le lui dire. Mais ce n'est
pas étonnant. Oui, il viendra, et il sera bien heureux de venir.
--Oh! maman, maman! s'écria la plus jeune fille, se levant alarmée par
un bruit de l'extérieur.
--Écoute, Edouard, écoute! fit la mère effrayée; le tocsin! Mark, Mark,
mon pauvre cher enfant, où est-il?
Mordaunt se leva et prêta l'oreille. Le lugubre tintement des cloches

augmentait de plus en plus, et de nombreuses clameurs semblaient
annoncer un incendie considérable.
--Vite! s'écria Mordaunt; Ellen, mon chapeau! N'ayez pas peur, enfants,
j'espère que ça ne sera rien.
Il allait se précipiter vers la porte, quand elle fut tout à coup ouverte; un
grand jeune homme maigre, à la mine hâve, égarée, entra et la referma
violemment.
Il paraissait ivre.
--Hourra! en voici un autre! Ça va, ça va, ma mère! Nous vous tirerons
de là, quand nous devrions brûler toute la ville! Vive le feu, ma mère!
--Mark, dit sévèrement Mordaunt en saisissant le jeune homme par le
bras, je t'ai averti, tu ne coucheras plus ici, si tu as commis ce crime. Tu
es mon fils, mais n'importe, je ne garderai pas chez moi un incendiaire.
Ainsi, va où tu voudras, il n'y a plus place ici pour toi.
--Oh! Edouard, Edouard, pardonne-lui cette fois.
--Bah! qu'est-ce que ça fait? s'écria le jeune homme échappant, en
chancelant, à, l'étreinte de son père. Il nous faut de l'ouvrage, n'est-ce
pas? Ils sont riches--nous prenons garde à ça--ils reconstruiront, ça ne
les appauvrira pas et ça nous donnera du pain. Justice! c'est tout ce que
nous voulons! hurla-t-il en se jetant tout de son long devant le foyer
éteint.
--Tais-toi, dit le père.
--Voyez, reprit Mark montrant du doigt sa mère et ses soeurs qui
s'étaient groupées avec effroi au milieu de la chambre; voyez, elles
n'ont ni feu ni à manger. Brûlez donc tout, c'est moi qui vous le dis;
c'est ce que je ferais, moi!
--Je te dis que tu ne coucheras pas ici, dit Mordaunt. Si tu ne viens pas
m'aider à remédier au mal que tu as fait, j'irai te dénoncer moi-même,

quoique tu sois mon propre fils--oui, Mark!
Il se leva et courut à la porte.
--Bon Dieu! exclama-t-il, après l'avoir ouverte, en voyant les lueurs
embrasées qui se réfléchissaient au ciel et rougissaient jusqu'au tapis de
neige étendu sur les rues et les maisons; bon Dieu! quel spectacle!
Marguerite, amène-le ici. Tu m'entends, je ne puis supporter ça,
quoique je sois son père! Mon Dieu! mon Dieu! ajouta-t-il en étendant
ses bras vers la populeuse cité et en se précipitant à travers la neige;
voyez, mon Dieu, ce que font de nous ces ministres aveugles! nous
venons leur demander du travail, et ils nous rendent criminels...
Montrez-vous maintenant, grands champions du peuple, et contemplez
ce spectacle! vous qui vous posez comme les défenseurs des droits du
peuple et le grisez de vos fables politiques contemplez-le! Il n'y a pas
d'invention ici. Le tocsin a souvent retenti à vos oreilles, et les sinistres
lueurs d'une conflagration ont souvent brillé sur vos maisons. Êtes-vous
capable de calmer les souffrances de ce pauvre père? Pouvez-vous
sécher les larmes qui jaillissent des yeux de cette mère outragée, et
pouvez-vous mettre un terme aux tiraillements qui déchirent les
entrailles de leurs enfants affamés? Ils sont venus pour travailler, pour
être honnêtes au milieu de vous, pour vous être utiles, et voyez ce qu'ils
sont!
Le jeune homme fit peu attention à l'excitation qu'il avait causée.
Au lieu de suivre son père, il s'étendit sur le plancher à
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