bois.
Tu es un bon garçon, Jean, répondit sa mère en le caressant. Comme tu
as froid! tu dois être gelé. Mais ou as-tu eu ce bois, Jean?
--Oh! bien, je l'ai eu, répondit-il en détournant la tête.
--Mais où, Jean?
--Écoutez donc, il n'y a personne qui voudrait m'en donner, vous le
savez bien, répliqua-t-il négligemment, et puis il vous faut du feu; ainsi
j'ai eu ce bois-là et j'en aurai encore.
--Oh! Jean, Jean, tu ne l'as pas volé? s'écria la malheureuse mère,
donnant le nourrisson à sa fille cadette, et s'agenouillant devant le petit
garçon, qu'elle examina avec une anxiété fiévreuse.
--Jean, mon cher Jean, dis-moi que tu ne l'as pas volé?
--Eh! ma foi, peut-être que oui, dit-il maussadement. Pourquoi aussi ne
voulait-on pas me donner du bois? Il vous fallait du feu, maman. Je
n'aurais pas fait ça pour moi. Mais pour vous... D'ailleurs, Tom William
le fait, et il dit qu'il n'y a pas de mal à ça, si on ne peut avoir d'ouvrage
pour acheter du bois. Et comme ça, c'est bien, n'est-ce pas, maman?
dit-il en sautant dans la chambre pour se réchauffer.
--Non, non, Jean, c'est très-mal; tu vas reporter ça... et tout de suite. Il
ne faut pas voler, même pour ta pauvre mère, Jean. Nous ne pouvons
rester sans feu, c'est vrai; mais tu ne dois pas être un voleur, non, non!
Prends-moi ce bois et, reporte-le comme un honnête garçon, dit-elle, en
essayant de lui replacer le fagot dans les bras.
--Non, je ne le reporterai pas, dit-il en rejetant le bois dans le foyer; je
ne le reporterai pas, quand vous êtes tous gelés et qu'il n'y a pas un brin
de bois à la maison. Prenez-le pour cette fois, maman, et peut-être que
je n'en chiperai plus jamais.
Ah! jeune enfant, voilà que tu voles! Et que te dit la justice? Ses
ministres voient-ils en toi les semences du crime dont les cachots
cueilleront le fruit? voient-ils en toi le germe de ce qui constitue les
coupables? Leur main va-t-elle s'étendre vers toi pour t'administrer
l'antidote au poison qui déjà circule en tes veines, ou n'ont-ils rien que
le châtiment pour le cultiver et le développer, pour que les prisons ne
soient pas vides et que les cours de police ne chôment pas?
--Ce n'est pas tout, continua le petit Jean, tirant de sa poche une pièce
de monnaie et un billet tout froissé; tenez, regardez, maman, ce que m'a
donné un homme, pour porter cette lettre à Madeleine.
Les joues de la jeune fille pâlirent affreusement.
D'une main tremblante elle arracha la lettre à son frère et la cacha dans
les plis de son corsage; mais ce fut sans mot dire, et sa confusion n'en
fut que plus apparente.
Un horrible soupçon avait jailli dans le sein de la mère; des larmes
brûlaient les paupières de la pauvre femme.
--Oh! Madeleine, Madeleine! s'écria-t-elle après un instant de pénible
silence, de qui vient cette lettre? Est-ce de Guillaume, Jean?
--Non, ce n'est pas de Guillaume, maman; c'est d'un monsieur.
--Madeleine, ça paraît bien drôle, dit la mère éperdue; confie-moi ce
que c'est. Tiens voici ton père qui rentre, je vais tout lui dire.
--Non, ma mère, non, je vous en prie! s'écria la jeune fille en
apercevant un homme qui passait près de la fenêtre et se dirigeait vers
la porte; non, ne le lui dites pas, je vous avouerai tout, mais ne le lui
dites pas!
--Madeleine, ma pauvre Madeleine! fit la malheureuse femme tombant
à genoux et saisissant sa fille dans ses bras, cette atroce misère nous
tuera tous! Madeleine, ma pauvre Madeleine!
Venez, vous les heureux du monde et contemplez ce tableau.
C'est le temps de fêter, de danser, de vous réjouir; c'est le temps de
vanter les charmes de la vie; mais avant que vous ne vous soyez
plongés trop avant dans l'ivresse de vos plaisirs, détournez-vous un
instant du sentier jonché de fleurs où vous passez l'existence et jetez les
yeux de ce côté.
Si c'est une fable que nous écrivons, s'il n'y a point de vérité dans les
portraits, ah! soyez aveugles si vous le voulez; mais s'il est vrai qu'à
votre porte même la misère grelotte de froid et de faim; s'il est vrai que
telles sont les tristes réalités du jour, qui se multiplient et grossissent
dans les grandes villes canadiennes à mesure que s'écoulent les années,
alors il est bon, pour vous qui êtes riches, contents et prospères, que vos
oreilles soient ouvertes, que votre main s'étende aux malheureux; car, si
vous ne pouvez leur donner un abri et du pain en échange du dur travail
qu'ils feraient volontiers pour vous, il vaut mieux les traiter en
mendiants, leur jeter une froide aumône, ou les chasser épouvantés de
vos rivages,
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