les cheveux blancs; je n'en sais rien, personne n'en sait rien, car elle a toujours un serre-tête noir qui lui colle comme du taffetas sur le crane; elle a, par exemple, la barbe grise, un bouquet de poils ici, une petite mèche qui frisotte par là, et de tous c?tés des poireaux comme des groseilles, qui ont l'air de bouillir sur sa figure.
Pour mieux dire, sa tête rappelle, par le haut, à cause du serre-tête noir, une pomme de terre br?lée et, par le bas, une pomme de terre germée: j'en ai trouvé une gonflée, violette, l'autre matin, sous le fourneau, qui ressemblait à grand-tante Agnès comme deux gouttes d'eau.
?Voeux d'innocence.?
Ma mère fait si bien, s'explique si mal, que je commence à croire que c'est malpropre d'être béate, et qu'il leur manque quelque chose, ou qu'elles ont quelque chose de trop.
Béate?
Elles sont quatre ?béates? qui demeurent ensemble--pas toutes avec des poireaux couleur de feu sur une peau couleur de cendre, comme grand-tante Agnès, qui est coquette, mais toutes avec un brin de moustache ou un bout de favoris, une noix de c?telette, et l'inévitable serre-tête, l'emplatre noir!
On m'y envoie de temps en temps.
C'est au fond d'une rue déserte, où l'herbe pousse.
Grand-tante Agnès est ma marraine, et elle adore son filleul.
Elle veut me faire son héritier, me laisser ce qu'elle a,--pas son serre-tête, j'espère.
Il para?t qu'elle garde quelques vieux sous dans un vieux bas, et quand on parle d'une voisine chez qui l'on a trouvé un sac d'écus dans le fond d'un pot à beurre, elle rit dans sa barbe.
Je ne m'amuse pas fort chez elle, en attendant qu'on trouve son pot à beurre!
Il fait noir dans cette grande pièce, espèce de grenier soutenu par des poutres qui ont l'air en vieux bouchon, tant elles sont piquées et moisies!
La fenêtre donne sur une cour, d'où monte une odeur de boue cuite.
Il n'y a que les rideaux de lit qui me plaisent,--ils suffisent à me distraire; on y voit des bonshommes, des chiens, des arbres, un cochon; ils sont peints en violet sur l'étoffe, c'est le même sujet répété cent fois. Mais je m'amuse à les regarder de tous les c?tés, et je vois surtout toutes sortes de choses dans les rideaux de ma grand-tante, quand je mets ma tête entre mes jambes pour les regarder.
La chasse--c'est le sujet--me para?t de toutes les couleurs. Je crois bien! Le sang me descend à la figure; j'ai le cerveau comme un fond de barrique: c'est l'apoplexie! Je suis forcé de retirer ma tête par les cheveux pour me relever, et de la replacer droit comme une bouteille en vidange.
On fait des prières à tout bout de champ: Amen! Amen! avant la rave et après l'oeuf.
Les raves sont le fond du d?ner qu'on m'offre quand je vais chez la béate; on m'en donne une crue et une cuite.
Je racle la crue, qui semble mousser sous le couteau, et a sur la langue un go?t de noisette et un froid de neige.
Je mords avec moins de plaisir dans celle qui est cuite au feu de la chaufferette que la tante tient toujours entre les jambes, et qui est le meuble indispensable des béates.--Huit jambes de béates: quatre chaufferettes--qui servent de bo?te à fil en été, et dont elles tournent la braise avec leur clef en hiver.
Il y a de temps en temps un oeuf.
On tire cet oeuf d'un sac, comme un numéro de loterie et on le met à la coque, le malheureux! C'est un véritable crime, un coquicide, car il y a toujours un petit poulet dedans.
Je mange ce foetus avec reconnaissance, car on m'a dit que tout le monde n'en mange pas, que j'ai le bénéfice d'une rareté, mais sans entrain, car je n'aime pas l'avorton en mouillettes et le poulet à la petite cuiller.
En hiver, les béates travaillent à la boule: elles plantent une chandelle entre quatre globes pleins d'eau, ce qui donne une lueur blanche, courte et dure, avec des reflets d'or.
En été, elles portent leurs chaises dans la rue sur le pas de la porte, et les carreaux vont leur train.
Avec ses bandeaux verts, ses rubans roses, ses épingles à tête de perle, avec les fils qui semblent des tra?nées de bave d'argent sur un bouquet, avec ses airs de corsage riche, ses fuseaux bavards, le carreau est un petit monde de vie et de gaieté.
Il faut l'entendre babiller sur les genoux des dentellières, dans les rues de béates, les jours chauds, au seuil des maisons muettes. Un tapage de ruche ou de ruisseau, dès qu'elles sont seulement cinq ou six à travailler,--puis quand midi sonne, le silence!...
Les doigts s'arrêtent, les lèvres bougent, on dit la courte prière de l'Angelus. Quand celle qui la dit a fini, tous répondent mélancoliquement: Amen! et les carreaux se remettent à bavarder...
Mon oncle Joseph, mon
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