arriver aux honneurs, et s'est installé dans une petite chambre au fond d'une rue noire, d'où il sort, le jour, pour donner quelques le?ons à dix sous l'heure, et où il rentre le soir, pour faire la cour à une paysanne qui sera ma mère, et qui accomplit pour le moment ses devoirs de nièce dévouée près d'une tante malade.
On se brouille pour cela avec l'oncle curé, on dit adieu à l'église; on s'aime, on s'accorde, on s'épouse! On est aussi au plus mal avec les père et mère, à qui l'on a fait des sommations pour arriver à ce mariage de la débine et de la misère.
Je suis le premier enfant de cette union bénie. Je viens au monde dans un lit de vieux bois qui a des punaises de village et des puces de séminaire.
La maison appartient à une dame de cinquante ans qui n'a que deux dents, l'une marron et l'autre bleue, et qui rit toujours; elle est bonne et tout le monde l'aime. Son mari s'est noyé en faisant le vin dans une cuve; ce qui me fait beaucoup rêver et me donne grand'peur des cuves, mais grand amour du vin. Il faut que ce soit bien bon pour que M. Garnier--c'est son nom--en ait pris jusqu'à mourir. Madame Garnier boit, tous les dimanches, de ce vin qui sent l'homme qu'elle a aimé: les souliers du mort sont aussi sur une planche, comme deux chopines vides.
On se grise pas mal dans la maison où je demeure.
Un abbé qui reste sur notre carré ne sort jamais de table sans avoir les yeux hors de la tête, les joues luisantes, l'oreille en feu. Sa bouche laisse passer un souffle qui sent le f?t, et son nez a l'air d'une tomate écorchée. Son bréviaire embaume la matelote.
Il a une bonne, mademoiselle Henriette, qu'il regarde de c?té, quand il a bu. On parle quelquefois d'elle et de lui dans les coins.
Au second, M. Grélin. Il est lieutenant des pompiers, et, le jour de la Fête-Dieu, il commande sur la place. M. Grélin est architecte, mais on dit qu'il n'y entend rien, que ?c'est lui qui est cause que le Breuil est toujours plein d'eau, qu'il a co?té cinquante mille francs à la ville, et que, sans sa femme...? On dit je ne sais quoi de sa femme. Elle est gentille, avec de grands yeux noirs, de petites dents blanches, un peu de moustache sur la lèvre; elle fait toujours bouffer son jupon et sonner ses talons quand elle marche.
Elle a l'accent du Midi, et nous nous amusons à l'imiter quelquefois.
On dit qu'elle a des ?amants?. Je ne sais pas ce que c'est, mais je sais bien qu'elle est bonne pour moi, qu'elle me donne, en passant, des tapes sur les joues, et que j'aime à ce qu'elle m'embrasse, parce qu'elle sent bon. Les gens de la maison ont l'air de l'éviter un peu, mais sans le lui montrer.
? Vous dites donc qu'elle est bien avec l'adjoint?
--Oui, oui, au mieux!
--Ah! ah! et ce pauvre Grélin??
J'entends cela de temps en temps, et ma mère ajoute des mots que je ne comprends pas.
?Nous autres, les honnêtes femmes, nous mourons de faim. Celles-là, on leur fourre des places pour leurs maris, des robes pour leurs fêtes!?
Est-ce que madame Grélin n'est pas honnête? Que fait-elle? Qu'y a-t-il? pauvre Grélin! Mais Grélin a l'air content comme tout. Ils sont toujours à donner des caresses et des joujoux à leurs enfants; on ne me donne que des gifles, on ne me parle que de l'enfer, on me dit toujours que je crie trop. Je serais bien plus heureux si j'étais le fils à Grélin: mais voilà! L'adjoint viendrait chez nous quand ma mère serait seule... ?a me serait bien égal, à moi. Madame Toullier reste au troisième: voilà une femme honnête! Madame Toullier vient à la maison avec son ouvrage, et ma mère et elle causent des gens d'en bas, des gens de dessus, et aussi des gens de Rapha?l et d'Espailly. Madame Toullier prise, a des poils plein les oreilles, des pieds avec des oignons; elle est plus honnête que madame Grélin. Elle est plus bête et plus laide aussi.
Quels souvenirs ai-je encore de ma vie de petit enfant? Je me rappelle que, devant la fenêtre, les oiseaux viennent l'hiver picorer dans la neige; que, l'été, je salis mes culottes dans une cour qui sent mauvais; qu'au fond de la cave, un des locataires engraisse des dindes. On me laisse pétrir des boulettes de son mouillé, avec lesquelles on les bourre, et elles étouffent. Ma grande joie est de les voir suffoquer, devenir bleues. Il para?t que j'aime le bleu!
Ma mère appara?t souvent pour me prendre par les oreilles et me calotter. C'est pour mon bien; aussi, plus elle m'arrache de cheveux, plus elle me donne
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