Leffrayante aventure | Page 4

Jules Lermina

De la main, M. Davaine lui avait désigné une chaise: mais M. Bobby
préférait rester debout, parce qu'il ne perdait rien de sa taille.
--J'ai tenu à vous faire bien comprendre, monsieur le chef de la Sûreté,

que si je me présentais chez vous, c'était de ma propre volonté, sans y
être contraint par aucune obligation professionnelle... je suis tout
simplement un touriste, qui est venu visiter votre Paris--une belle ville,
vraiment, fit-il avec un ton de condescendance--et qu'un mouvement de
générosité toute spontanée entraîne à vous rendre un petit service....
--Trop bon, en vérité. Mais... seriez-vous assez aimable pour me
rendre... ce petit service, le plus tôt possible... j'ai tant d'occupations
que je suis un peu pressé....
Une ombre passa sur le visage de M. Bobby:
--Si vous le désirez, fit-il d'une voix blanche, je reviendrai à un autre
moment.
--Ah non! par exemple, clama M. Davaine. Monsieur Bobby, je vous
tiens pour un parfait gentleman... mais là, sincèrement, je suis on ne
peut plus impatient de connaître le véritable motif de votre visite... et si
vous pouviez, en deux mots, calmer cette impatience....
A part lui, le policier commençait à se demander très sérieusement s'il
n'allait pas jeter cet imbécile au bas de l'escalier.
Quant à M. Bobby, il eut un léger haussement d'épaules.
Les Français, toujours les mêmes! Frivoles et légers!
Alors, comme sous le déclanchement d'un ressort, il prononça des
phrases brèves.
--Vous ne savez pas quel est le mort de l'Obélisque?
Lavaur eut un sursaut.
--Non, dit le chef de la Sûreté.
--Je le sais....
--Eh bien, parlez, parlez vite....

--Mes promenades m'ont mené à la Morgue... j'ai vu....
--Et vous avez reconnu....
--Une insigne canaille....
--Qui s'appelle?
--Coxward, le pugiliste, le boxeur. Voilà.

III
QUERELLES DE BOUTIQUES
Deux heures après, on lisait dans le Nouvelliste les détails suivants:
Coxward (John) était un boxeur de profession, non pas un de ces
athlètes qui prétendent au titre de champion du monde, mais un rouleur
de baraques foraines qui faisait le coup de poing pour quelques
shillings, battait ou était battu, sans grand dommage ni pour ses
adversaires ni pour lui-même, peu coté chez les parieurs, mais assez
truqueur en somme pour gagner sa vie.
D'ailleurs, ivrogne invétéré, irrespectueux du bien d'autrui, déjà initié
aux douceurs de la prison et du «tread-mill».
Bref, un personnage peu intéressant.
M. Bobby, le célèbre détective anglais, supposait que le personnage
avait eu l'idée de chercher fortune à Paris où les combats de boxe, juste
en ce moment, attiraient dans un de nos plus notoires music-halls une
foule aussi élégante que sauvage, qui discutait comme des
«aficionados» les combats de taureaux, les «swings» et les «knock-out»
des corpulents compétiteurs.
Coxward eût-il fait bonne figure dans ces «fights» de haute volée:
c'était peu probable, mais l'illusion est ardente conseillère à laquelle on

résiste peu, sans parler de l'attraction que pouvait exercer Paris sur un
pareil personnage.
Quant à savoir à la suite de quels événements Coxward, assommé,
s'était trouvé au pied de l'Obélisque, l'intérêt était en somme fort mince,
et l'attention publique s'en fût rapidement désintéressée, si une
circonstance toute particulière ne s'était produite et n'avait donné à
l'affaire un regain de publicité.
Nul n'ignore que si le Nouvelliste tient le haut du pavé, dans la carrière
du journalisme d'information, il est serré de près par un concurrent, le
Reporter, dont la vogue augmente tous les jours.
Le Nouvelliste, dédaigneux de son rival, ne se fait pas faute d'affirmer
sa supériorité, en des termes souvent peu bienveillants pour le Reporter
qui de son côté cherche, par tous moyens, à prendre son adversaire en
défaut.
C'est entre les deux journaux une guerre au couteau qui amuse la
galerie, mais dans laquelle s'exaspèrent volontiers les deux lutteurs qui
échangent des arguments dont quelquefois la courtoisie laisse à désirer.
Or, il s'était trouvé que dans cette affaire de l'Obélisque, le Nouvelliste
était arrivé bon premier, tant pour le récit de l'aventure que pour la suite
de l'enquête. Le Reporter, de son côté, suivait une piste parmi les
sportsmen français, alors que, directement informé par la Préfecture, le
Nouvelliste avait démoli tout son échafaudage de déductions en
révélant la déposition de M. Bobby.
Et il avait fait suivre cette publication de cette phrase aigre-douce:
--_Nous regrettons vivement que la simple vérité réduise à néant les
très ingénieuses hypothèses dans lesquelles s'étaient complus certains
de nos confrères. Encore une fois, le Nouvelliste a prouvé la sûreté de
ses informations, qui n'ont rien de commun, avec les imaginations
fantaisistes d'une presse assez peu scrupuleuse pour inventer de toutes
pièces des renseignements fallacieux._

C'était livrer à la risée le Reporter, accusé de légèreté et presque de
mensonge, et les autres journaux ne manquèrent pas de marquer le
coup.
Aussi, dans les bureaux du Reporter, l'émotion fut-elle grande: le
directeur fulmina et mit
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