et, ouvrant une porte au hasard, tomba dans la salle de rédaction.
Et sans crier gare, cette femme sèche, grande et maigre, type antique de l'Anglaise à longues dents, habillée comme un chien savant, se jeta sur les rédacteurs, le parapluie en bataille, et distribua des horions à droite et à gauche, taillant et estocadant et risquant fort d'éborgner des adversaires.
Ce ne fut point petite affaire que de ma?triser cette furie qui prétendait venger l'honneur de son mari.
On parvint enfin à s'emparer d'elle et à la remettre aux mains de sergents de ville qui durent la ligoter pour la réduire à l'impuissance, non sans recevoir encore d'assez vigoureux horions.
On la porta au poste où les agents eurent encore à la défendre contre ses excentricités combatives.
Sur l'ordre de la Préfecture, elle passa par le Dép?t, mais fut immédiatement conduite au bureau de M. Lépine.
Fort heureusement, elle s'était un peu calmée et daigna ne pas répondre par des injures à notre haut magistrat. Toujours frémissante, elle expliqua que M. Bobby, citoyen anglais, que Madame Bobby, fille d'écosse, ne toléreraient pas les outrages dont les journaux fran?ais les accablaient, que c'était infame que d'accuser M. Bobby d'erreur ou de mensonge, qu'il ne s'était jamais trompé et que la tête sur le billot de Marie Stuart, elle jurerait encore que le mort de l'Obélisque était Coxward.
--Mais vous, madame, vous connaissez ce Coxward?
--Pour qui me prenez-vous; est-ce que je fréquente des gens de cette catégorie?
--Alors, comment savez-vous que c'est lui qui....
--M. Bobby l'a dit....
--Très bien! très bien! fit une voix claire, celle de M. Bobby qui venait d'être introduit. Cette réponse est conforme aux enseignements de la raison. La femme doit croire à toute parole de son mari....
--Ah! vous voici, monsieur Bobby, fit le préfet d'un accent assez sec. Vous êtes citoyen anglais: donc vous savez ce que signifient les mots: To keep the peace, gardez la paix. Or, si je ne discute pas vos opinions, j'estime qu'il vous est interdit de faire du scandale pour les affirmer, et, avant de prendre à votre égard une décision qui me peinerait, je vous demande si vous et Madame Bobby vous vous engagez à garder la paix, c'est-à-dire à ne point troubler l'ordre... répondez-moi, je vous prie....
M. Bobby se redressa avec une imposante dignité:
--C'est-à-dire qu'à moi, citoyen de la libre Angleterre, vous voulez imposer cette opinion contraire à la vérité... que Coxward n'est pas Coxward.
--Je n'entends rien vous imposer du tout--si ce n'est de vous tenir tranquille et de n'aller point assaillir les gens chez eux, ainsi qu'a eu tort de le faire la très honorable madame Bobby.
--Madame Bobby, agissant selon sa conscience, ne mérite aucun blame....
--Donnez-nous au moins votre parole que vous ne recommencerez pas....
--Je m'y refuse....
--Et vous, madame Bobby?
--Je m'y refuse.
--Alors je me vois contraint d'user des droits que la loi me confère... vous allez rentrer à votre h?tel, vous, monsieur Bobby, et faire vos préparatifs de départ... le train de Calais part à huit heures... vous trouverez Madame Bobby à la gare du Nord, et, signification vous étant faite d'un arrêt d'expulsion, vous vous embarquerez incontinent pour l'Angleterre.
--C'est bon, fit noblement M. Bobby, cela n'empêchera pas que Coxward ne soit Coxward.
Et, le soir même, Bobby et son irascible épouse quittaient Paris.
L'affaire était-elle terminée et le dossier serait-il classé?
On e?t été bien surpris--et surtout épouvanté--si on avait pu prévoir les effroyables événements que devait entra?ner à sa suite le crime de l'Obélisque.
DEUXIèME PARTIE
CHIMISTE DéTECTIVE & REPORTER
I
LE CARNET DE M. BOBBY
Ceci se passe à Londres.
M. Bobby est seul dans le petit parloir du cottage qu'il occupe depuis vingt ans, au coin d'Islington Gardens.
Madame Bobby est absente.
Il a ouvert un tiroir du petit secrétaire, épave du mobilier paternel, et en a tiré un cahier relié de cuir, fermé par une serrure d'acier.
Ceci est le journal de sa vie, tenu au courant depuis son enfance--sept ans--sans que jamais, selon le principe du poète, aucun jour se soit passé qu'il n'y ait inscrit au moins une ligne. Nulla dies sine linea.
M. Bobby est mélancolique, mais ses lèvres serrées et son menton dur témoignent d'une volonté que rien ne fait fléchir.
Il a posé le carnet sur la tablette, a fait jouer le ressort. Il feuillette, remonte en arrière et enfin relit.
--Moi, citoyen anglais, né dans la ville de Londres, cockney pur sang, ayant entendu les cloches de Bow-Church mêler leur son grave à mes premiers vagissements... [1] j'ai été expulsé de France et je n'ai pu résister. Me pardonnent mes a?eux d'Azincourt!
[Note 1: On sait que sont seuls vrais cockneys de Londres ceux qui sont nés dans le périmètre où peuvent s'entendre les cloches de Bow-Church.]
?Mais la Providence, à laquelle nul ne résiste, avait décidé que son fidèle serviteur n'aurait point, par cet affront, épuisé la coupe d'amertume.
?Dès le lendemain de mon retour en mes pénates, une convocation, dont la sécheresse
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