Leffrayante aventure | Page 7

Jules Lermina
chronique judiciaire, avait été engagé pour un assaut de boxe à Shadow's-Bar, tenu par un certain Pat O'Kearn, Irlandais._
?_L'assistance se composait de gens du bas peuple et les paris s'établissaient avec des pence plut?t qu'avec des livres, ou même des shillings. La performance d'ailleurs ne valait pas davantage et le combat provoquait plus de huées que d'applaudissements. Le nommé Coxward était, d'ailleurs, parfaitement ivre et pouvait à peine se tenir sur ses jambes. Si bien qu'il avait été plusieurs fois knocked out, sous les railleries du public..._
?_Comme, vers une heure du matin, il devenait certain qu'il était incapable de tenir le coup, il déclara qu'il en avait assez et qu'il s'en allait, ce que tout le monde accepta par des applaudissements railleurs. Coxward, qui était hébété par la fatigue et par l'ivresse, entra dans la chambre voisine du parlour afin de reprendre ses vêtements._
?_Un de ses adversaires, qui le connaissait pour sujet à caution, con?ut tout à coup un soup?on et brusquement entra dans la pièce où Coxward se rhabillait et le surprit au moment où, ayant fini sa toilette, le misérable fouillait les poches des autres vêtements, s'emparait d'une montre en or et filait par la fenêtre du rez-de-chaussée._
?_L'homme se jeta sur lui pour le retenir; mais Coxward se dégagea et se rua dehors. Aux cris du volé, les clients du Shadow's-Bar s'élancèrent à sa poursuite et alors commen?a une véritable chasse à l'homme._
?_Coxward avait une assez forte avance, de plus il connaissait admirablement le quartier, où de nombreuses lanes se coupent et s'enchevêtrent. Il s'était lancé dans la direction de Highbury et finalement il parvint à dépister ses poursuivants et disparut._
?_Plainte a été portée contre Coxward, qui ne tardera pas à tomber encore une fois sous la main de la justice._?
* * * * *
?C'était un fait divers banal, mais qui dans la circonstance prenait une importance singulière.
?Coxward, volant une montre à une heure du matin à Shadow's-Bar, dans un quartier éloigné de Londres, jouissait-il donc du don d'ubiquité à un tel degré qu'il p?t en même temps se trouver à Paris, aux environs de la place de la Concorde.
?Il ne s'agissait plus que de vérifier:
?1o Si le fait mentionné dans le petit journal en question était réel;
?2o Si le jour et la date mentionnés étaient exacts;
?3o S'il n'existait aucun doute sur la personnalité du nommé Coxward.
?Notre collaborateur Labergère, à qui nous avions confié cette enquête, se mit immédiatement en rapport avec un des plus notables solicitors de Londres, Edwin Battleworth, demeurant à Temple-street, Lincoln' Inns Fields, qui procéda à une information régulière et recueillit les témoignages indispensables, avec toutes les garanties de sincérité que confère la loi. Les témoins ci-après ont été entendus sous serment:
?1o Pat O'Kearn, Irlandais, tenancier de la taverne du Shadow's-Bar;
?2o Mrs O'Kearn, née O'Keeffe;
?3o Gailbraith, pugiliste;
?4o Bloxham, boucher.
?Plus sept autres habitués de la taverne en question et appartenant à la classe ouvrière.
?Et tous ont déclaré:
?Que Coxward était, sans aucun doute, l'individu qui avait boxé à Shadow's-Bar, avait volé une montre et avait été poursuivi;
?Que tous le connaissaient de longue date et qu'aucune méprise n'était possible ni même supposable;
?Que l'incident raconté par le journal était vrai dans tous ses détails;
?Enfin que la scène s'était bien passée entre onze heures du soir 1er avril et une heure du matin, 2 avril.
?Ces documents--dont l'authenticité ne saurait être mise en doute--sont affichés dans notre salle des dépêches: le public parisien peut ainsi juger du bien fondé des critiques discourtoises dont certains concurrents--dépités--avaient cru devoir nous accabler. Cette revanche de la vérité contre le bluff nous suffit.
Seuls nous avions raison; LE CADAVRE DE L'OBéLISQUE N'EST PAS CELUI DE COXWARD LE BOXEUR
?Décidément, notre ineffable chef de la S?reté, M. Davaine, et son illustre collaborateur, le grotesque Bobby, n'ont rien de commun avec le légendaire Sherlock-Holmes.
?Nous rappelons au célèbre M. Bobby que les caisses de l'Assistance publique sont situées avenue Victoria, à deux pas de l'H?tel de Ville.?
Ce fut par la ville un immense éclat de rire.
On ne s'occupait certes plus du crime qui avait été réellement commis, ni de l'assassin, ni de sa victime. Du moment qu'elle ne s'appelait pas Coxward, il semblait que sa mort n'offrit plus aucun intérêt.
Mais quelque chose survivait, c'était le nom de Bobby, Bobby, l'illustrissime, Bobby, l'admirable détective, et ce fut dans les journaux du lendemain matin une ruée de plaisanteries, de blagues féroces.
Des caricatures le flagellaient, sous des apparences plus ou moins folles. On vendait les cartes postales Bobby, Bobby par-ci, Bobby par là. Il était devenu le héros du jour et devant l'h?tel où il demeurait, des groupes se concertaient, hurlant à pleine voix:
--Conspuez Bobby!... Bobby à Charenton, tontaine!...
Ce qui mit le comble à cette excitation générale, c'est que Madame Bobby se fit conduire en voiture aux bureaux du Reporter, passa en coup de vent devant les gar?ons de bureau, grimpa l'escalier
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