sert-il, alors, d'avoir mis dans ta chambre le portrait du grand patriote? Je parie que tu ne le regardes seulement pas, avant de te coucher... En tous cas, tu n'es gu��re physionomiste; combien a- t-il d'yeux, le d��put�� qui parle �� la tribune? Un, ou deux?
Je ne sais pas, je ne sais pas. Je crois bien qu'il en a trois. Il a des yeux partout. Il en est plein. Je le vois bien, �� pr��sent; mais, tout �� l'heure, je ne pouvais rien voir; j'��tais ��bloui. Ah! j'ai ��t�� tellement ��mu, en p��n��trant dans l'auguste enceinte, dans le sanctuaire des lois! J'en suis encore tout agit��. Et puis, je croyais que Gambetta ne quittait pas la tribune, que c'��tait lui qui parlait tout le temps -- que les autres n'��taient l�� que pour l'��couter.
Mon p��re donne des explications aux voisins qui ��bauchent des gestes indulgents, apr��s avoir souri de piti��.
-- Je ne comprends vraiment pas comment il a pu confondre ainsi... Il a toujours le premier prix d'Histoire et il reconna?trait M. Thiers �� une demi-lieue...
Puis, il se tourne vers moi.
-- Le voil��, Gambetta! Tiens, l��, l��!
Oui, c'est lui, c'est bien lui. Je reconnais son oeil -- la plac�� de son oeil. -- Il est l��, au premier banc -- le banc de la commission, dit un voisin qui s'y conna?t -- ��tendu de tout son long, ou presque, les mains dans les poches et la cravate de travers. Et, de toute l'apr��s-midi, il ne desserre point les dents, pas une seule fois. Il se contente de renifler. Une s��ance fort int��ressante, cependant, o�� l'on discute la qualit�� des fourrages -- paille, foin, luzerne, avoine, son et recoupette.
-- C'est bien dommage que Gambetta n'ait pas parl��, dis-je �� mon p��re, comme nous sortons.
-- La parole est d'argent et le silence est d'or, me r��pond-il d'une voix qui me fait comprendre qu'il m'en veut de ma b��vue de tout �� l'heure. Mais je ne t'avais pas promis de te faire entendre Gambetta; ?a ne d��pend point de moi. Je t'avais promis de te le faire voir. Tu l'as vu. Tu n'esp��rais pas quelque chose d'extraordinaire, je pense?
Moi? Pas du tout. Je ne m'attendais pas, bien s?r, �� voir le tribun rincer son oeil de plomb dans le verre d'eau sucr��e, ou le lancer au plafond pour le rattraper dans la cuiller. Je sais qu'il est trop bien ��lev�� pour ?a.
-- Que son exemple te serve de le?on, reprend mon p��re. Avec de l'��conomie et en faisant son droit, on peut aujourd'hui arriver �� tout. Il d��pend de toi de monter aussi haut que lui.
Je crois que j'aurais peur, en ballon. Du reste, bien que je ne l'avoue qu'�� moi-m��me, j'ai ��t�� tr��s d��sillusionn��. Le Gambetta que j'ai vu n'est point celui que j'esp��rais voir, Non, pas du tout. Je ne me rappelle d��j�� plus sa figure: et si sa face -- de profil -- ne prot��geait pas mon sommeil, pendant les vacances, j'ignorerais demain comment il a le nez fait. Est-ce que je ne suis pas physionomiste, comme l'assure mon p��re?
Si, je le suis; au moins quelquefois. Et le monsieur chauve, en gilet blanc, qui parlait quand nous sommes entr��s, je vous jure que je ne l'ai point oubli��. Ses traits se sont grav��s en moi sans que le temps ait jamais pu les effacer. Quand je veux, dans les circonstances graves, me repr��senter un homme d'��tat, c'est son visage que j'��voque, c'est son linge et son attitude que vient m'offrir ma m��moire. Oui, malgr�� mon p��re, dont les admirations ��taient certainement justifi��es, ce n'est pas Gambetta, ni m��me M. Thiers, qui symbolisent pour moi le gouvernement n��cessaire d'un peuple libre, mais polic��. C'est ce monsieur, dont j'ignore le nom, dont les cheveux avaient quitt�� la France dans le fiacre �� Louis-Philippe, dont la blanchisseuse avait un si joli coup de fer, et qui condamnait le ma?s, formellement et sans appel, au nom de la cavalerie tout enti��re.
J'ai trois souvenirs de ma m��re.
Un jour, comme j'��tais tout petit, elle me tenait sur ses genoux quand on est venu lui annoncer qu'une traite souscrite par un client ��tait demeur��e impay��e. Elle m'a pos�� �� terre si rudement que je suis tomb�� et que j'ai eu le poignet foul��.
Une fois, elle m'a r��compens�� parce que j'avais r��pondu �� un vieux mendiant qui venait demander aum?ne �� la grille: ?Allez donc travailler, fain��ant; vous ferez mieux.?
-- C'est tr��s bien, mon enfant, m'a-t-elle dit. Le travail est le seul rem��de �� la mis��re et emp��che bien des mauvaises actions; quand on travaille, on ne pense pas �� faire du mal �� autrui.
Et elle m'a donn�� une petite carabine avec laquelle on peut ais��ment tuer des oiseaux.
Une autre fois, elle m'a puni parce que ?je demande toujours o�� m��nent les chemins qu'on traverse, quand on va
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