C'est �� moi, cet enfant-l��. Vous le voyez, hein? Eh! bien, c'est �� moi!
Les m��res ont la larme �� l'oeil.
-- Cher petit! Comme il a d? travailler! Ah! c'est bien beau, l'instruction...
Les parents de province s'agitent. Des chapeaux barbares, ��chapp��s pour un jour de leur prison d'acajou, font des graces avec leurs plumes. Des redingotes 1830 s'emp��sent de gloire. Des parapluies centenaires allongent fi��rement leurs grands becs. On voit tressaillir des chales-tapis.
Et je sors de l�� acclam��, triomphant, avec le fil de fer des couronnes qui me d��chire le front et m'��gratigne les oreilles, avec des livres plein les bras -- des livres verts, jaunes, rouges, bleus et dor��s sur tranche, �� faire hurler un Peau-Rouge et �� me donner des excitations terribles �� la sauvagerie, si j'��tais moins raisonnable.
Mais je suis raisonnable. Et c'est justement pourquoi ?a m'est bien ��gal, d'avoir une tunique trop longue et l'air b��te. Si je suis un serin, c'est un de ces serins auxquels on cr��ve les yeux pour leur apprendre �� mieux chanter. Si mes v��tements sont ridicules, est-ce ma faute si l'on me harnache aujourd'hui en garde-national, comme on m'habillera en l��zard �� cornes quand je serai acad��micien?
Car j'irai loin. On me le pr��dit tous les jours. _Sic itur ad astra._
J'ai le temps, d'ailleurs. Je n'ai encore que quinze ans.
-- Un bel age! dit mon oncle. On est d��j�� presque un jeune homme et l'on a encore toute la candeur de l'enfance.
Candeur!... Mon enfance? Je ne me rappelle d��j�� plus. Mes souvenirs voguent confus��ment, fouett��s de la brise des claques et mouill��s de la moiteur des embrassades, sur des lacs d'huile de foie de morue.
Comment me rappellerais-je quelque chose? J'ai ��t�� un petit prodige. Je crois que je savais lire avant de pouvoir marcher. J'ai appris par coeur beaucoup de livres; j'ai noirci des fourgons de papier blanc; j'ai ��cout�� parler les grandes personnes. J'ai ��t�� bien ��lev��...
Des souvenirs? En v��rit��, m��me aujourd'hui, c'est avec peine que j'arrive �� faire ��voluer des personnages devant le tableau noir qui a servi de fond �� la tristesse de mes premi��res ann��es. Oui, m��me en faisant voyager ma m��moire dans tous les coins de notre maison de Paris.; dans les all��es ratiss��es de notre jardin de la campagne -- un jardin o�� je ne peux me promener qu'avec pr��caution, o�� des all��es me sont d��fendues parce que j'effleurerais des branches et que j'arracherais des fleurs, o�� les rosiers ont des ��tiquettes, les g��raniums des scapulaires et les girofl��es un ��tat-civil �� la planchette; -- dans l'herbe et sous les arbres de la propri��t�� de mon grand'p��re qui pourtant ne demanderait pas mieux, lui, que de me laisser vacciner les h��tres et d��capiter les boutons d'or...
Des souvenirs? Si vous voulez.
Mon p��re? j'ai deux souvenirs de lui.
Un dimanche, il m'a emmen�� �� une f��te de banlieue. Comme j'avais fait manoeuvrer sans succ��s les diff��rents tourniquets charg��s de pav��s de Reims, de porcelaines utiles et de lapins m��lancoliques, il s'est mis en col��re.
-- Tu vas voir, a-t-il dit, que Phanor est plus adroit que toi.
Il a fait dresser le chien contre la machine et la lui a fait mettre en mouvement d'un coup de patte autoritaire. Phanor a gagn�� le gros lot, un grand morceau de pain d'��pice.
-- Puisqu'il l'a gagn��, a prononc�� mon p��re, qu'il le mange!
Il a d��pos�� le pain d'��pice sur l'herbe et le chien s'est mis �� l'entamer, avec plaisir certainement, mais sans enthousiasme. Des hommes v��tus en ouvriers, derri��re nous, ont murmur��.
-- C'est honteux, ont-ils dit, de jeter ce pain d'��pice �� un chien lorsque tant d'enfants seraient si heureux de l'avoir.
Mon p��re n'a pas bronch��. Mais, quand nous avons ��t�� partis, je l'ai entendu qui disait �� ma m��re:
-- Ce sont des souteneurs, tu sais.
J'ai demand�� ce que c'��tait que les souteneurs. On ne m'a pas r��pondu. Alors, j'ai pens�� que les souteneurs ��taient des gens qui aimaient beaucoup les enfants.
Plus tard, mon p��re m'a procur�� une joie plus grave. Il m'a fait voir Gambetta. C'��tait au Palais de Versailles, o�� se tenait alors l'Assembl��e Nationale. La s��ance ��tait ouverte quand nous sommes entr��s. Un monsieur chauve, fortifi�� d'un gilet blanc, ��tait �� la tribune. Il disait que le ma?s est tr��s mauvais pour les chevaux. J'ai cru que c'��tait Gambetta.
Mon p��re s'est mis en col��re. Comment! je ne reconnais pas Gambetta! Il est assez facile �� distinguer des autres, pourtant. Ne m'a-t-on pas dit mille fois qu'il s'��tait crev�� un oeil parce que ses parents ne voulaient pas le retirer d'un coll��ge de J��suites?
Si, on me l'a dit mille fois. Je sais ainsi qu'un fils a le droit de d��sob��ir �� ses parents quand ils le mettent chez les J��suites, mais qu'il doit leur ob��ir aveuglement lorsqu'ils l'enferment ailleurs!
-- Ah! tu es vraiment bien nigaud, mon pauvre enfant! �� quoi ?a
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