faut l'exercer sous un tel climat. Les épaules chargées de ce pesant ivoire ou des lourds colis de provisions, la chair souvent mise à vif, les pieds ensanglantés, le torse écorché par le piquant des herbes, car ils sont à peu près nus, ils vont ainsi entre l'aube et onze heures du matin et ils reprennent leur marche jusqu'au soir lorsque la grande chaleur est passée. Mais l'intérêt des trafiquants commande de les bien payer, et ils les payent bien; de les bien nourrir, et ils les nourrissent bien; de ne point les surmener au delà de toute mesure, et ils ne les surmènent pas. Très réels sont les dangers de ces chasses aux éléphants, sans parler de la rencontre possible des lions et des panthères, et le chef doit pouvoir compter sur son personnel. En outre, la récolte de la précieuse matière achevée, il importe que la caravane retourne heureusement et promptement aux factoreries de la c?te. Il y a donc avantage à ce qu'elle ne soit arrêtée ni par des retards provenant de fatigues excessives, ni par les maladies -- entre autres la petite vérole, dont les ravages sont les plus à craindre. Aussi, pénétré de ces principes, servi par une vieille expérience, le Portugais Urdax, en prenant un soin extrême de ses hommes, avait-il réussi jusqu'alors dans ces lucratives expéditions au centre de l'Afrique équatoriale.
Et telle était cette dernière, puisqu'elle lui valait un stock considérable d'ivoire de belle qualité, rapporté des régions au delà du Bahar-el-Abiad, presque sur la limite du Darfour.
Ce fut sous l'ombrage de magnifiques tamarins que s'organisa le campement, et, lorsque John Cort, après que les porteurs eurent commencé le déballage des provisions, interrogea le Portugais, voici la réponse qu'il obtint, en cette langue anglaise qu'Urdax parlait couramment:
?Je pense, monsieur Cort, que le lieu de la halte est convenable, et la table est toute servie pour nos attelages.
-- En effet, ils auront là une herbe épaisse et grasse... dit John Cort.
-- Et on la brouterait volontiers, ajouta Max Huber, si on possédait la structure d'un ruminant et trois estomacs pour la digérer!
-- Merci, répliqua John Cort, mais je préfère un quartier d'antilope grillé sur les charbons, le biscuit dont nous sommes largement approvisionnés, et nos quartauts de madère du Cap...
-- Auquel on pourra mélanger quelques gouttes de ce rio limpide qui court à travers la plaine?, observa le Portugais. Et il montrait un cours d'eau, -- affluent de l'Oubanghi, sans doute, -- qui coulait à un kilomètre du tertre.
Le campement s'acheva sans retard. L'ivoire fut empilé par tas à proximité du chariot. Les attelages vaguèrent autour des tamarins. Des feux s'allumèrent ?à et là avec le bois mort tombé des arbres. Le foreloper s'assura que les divers groupes ne manquaient de rien. La chair d'élan et d'antilope, fra?che ou séchée, abondait. Les chasseurs la pouvaient renouveler aisément. L'air se remplit de l'odeur des grillades, et chacun fit preuve d'un appétit formidable que justifiait cette demi-journée de marche.
Il va sans dire que les armes et les munitions étaient restées dans le chariot, -- quelques caisses de cartouches, des fusils de chasse, des carabines, des revolvers, excellents engins de l'armement moderne, à la disposition du Portugais, de Khamis, de John Cort et de Max Huber, en cas d'alerte.
Le repas devait prendre fin une heure après. L'estomac apaisé, et la fatigue aidant, la caravane ne tarderait pas à être plongée dans un profond sommeil.
Toutefois, le foreloper la confia à la surveillance de quelques- uns de ses hommes, qui devaient se relever de deux heures en deux heures. En ces lointaines contrées, il y a toujours lieu de se garder contre les êtres malintentionnés, à deux pieds comme à quatre pattes. Aussi, Urdax ne manquait-il pas de prendre toutes les mesures de prudence. ?gé de cinquante ans, vigoureux encore, très entendu à la conduite des expéditions de ce genre, il était d'une extraordinaire endurance. De même, Khamis, trente-cinq ans, leste, souple, solide aussi, de grand sang-froid et de grand courage, offrait toute garantie pour la direction des caravanes à travers l'Afrique.
Ce fut au pied de l'un des tamarins que les deux amis et le Portugais s'assirent pour le souper, apporté par le petit gar?on, et que venait de préparer un des indigènes auquel étaient dévolues les fonctions de cuisinier.
Pendant ce repas, les langues ne ch?mèrent pas plus que les machoires. Manger n'empêche point de parler, lorsqu'on n'y met pas trop de hate. De quoi s'entretint-on?... Des incidents de l'expédition durant le parcours vers le nord-est?... Point. Ceux qui pouvaient se présenter au retour étaient d'un intérêt plus actuel. Le cheminement serait long encore jusqu'aux factoreries de Libreville -- plus de deux mille kilomètres -- ce qui exigerait de neuf à dix semaines de marche. Or, dans cette seconde partie du voyage, qui sait? avait dit John Cort à
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