Congo. Et, ce qui est abominable, les enfants servent d'ordinaire à l'assouvissement de ces instincts du cannibalisme. Aussi, les missionnaires se dévouent-ils pour sauver ces petites créatures, soit en les enlevant par force, soit en les rachetant, et ils les élèvent chrétiennement dans les missions établies le long du fleuve Siramba. Qu'on ne l'oublie pas, ces missions ne tarderaient pas à succomber faute de ressources, si la générosité des états européens, celle de la France en particulier, venait à s'éteindre.
Il convient même d'ajouter que, dans l'Oubanghi, les enfants indigènes sont considérés comme monnaie courante pour les échanges du commerce. On paye en petits gar?ons et en petites filles les objets de consommation que les trafiquants introduisent jusqu'au centre du pays. Le plus riche indigène est donc celui dont la famille est la plus nombreuse.
Mais, si le Portugais Urdax ne s'était pas aventuré à travers ces plaines dans un intérêt commercial, s'il n'avait pas eu à faire de trafic avec les tribus riveraines de l'Oubanghi, s'il n'avait eu d'autre objectif que de se procurer une certaine quantité d'ivoire en chassant l'éléphant qui abonde en cette contrée, il n'était pas sans avoir pris contact avec les féroces peuplades congolaises. En plusieurs rencontres même, il dut tenir en respect des bandes hostiles et changer en armes défensives contre les indigènes celles qu'il destinait à poursuivre les troupeaux de pachydermes.
Au total, heureuse et fructueuse campagne qui ne comptait pas une seule victime parmi le personnel de la caravane.
Or, précisément aux abords d'un village, près des sources du Bahar-el-Abiad, John Cort et Max Huber avaient pu arracher un jeune enfant à l'affreux sort qui l'attendait et le racheter au prix de quelques verroteries. C'était un petit gar?on, agé d'une dizaine d'années, de constitution robuste, intéressante et douce physionomie, de type nègre peu accentué. Ainsi que cela se voit chez quelques tribus, il avait le teint presque clair, la chevelure blonde et non la laine crépue des noirs, le nez aquilin et non écrasé, les lèvres fines et non lippues. Ses yeux brillaient d'intelligence, et il éprouva bient?t pour ses sauveurs une sorte d'amour filial. Ce pauvre être, enlevé à sa tribu, sinon à sa famille, car il n'avait plus ni père ni mère, se nommait Llanga. Après avoir été pendant quelque temps instruit par les missionnaires qui lui avaient appris un peu de fran?ais et d'anglais, une mauvaise chance l'avait fait retomber entre les mains des Denkas, et quel sort l'attendait, on le devine. Séduits par son affection caressante, par la reconnaissance qu'il leur témoignait, les deux amis se prirent d'une vive sympathie pour cet enfant; ils le nourrirent, ils le vêtirent, ils l'élevèrent avec grand profit, tant il montrait d'esprit précoce. Et, dès lors, quelle différence pour Llanga! Au lieu d'être, comme les malheureux petits indigènes, à l'état de marchandise vivante, il vivrait dans les factoreries de Libreville, devenu l'enfant adoptif de Max Huber et de John Cort... Ils en avaient pris la charge et ne l'abandonneraient plus!... Malgré son jeune age, il comprenait cela, il se sentait aimé, une larme de bonheur coulait de ses yeux chaque fois que les mains de Max Huber ou de John Cort se posaient sur sa tête.
Lorsque le chariot eut fait halte, les boeufs, fatigués d'une longue route par une température dévorante, se couchèrent sur la prairie. Aussit?t Llanga, qui venait de cheminer à pied pendant une partie de l'étape, tant?t en avant, tant?t en arrière de l'attelage, accourut au moment où ses deux protecteurs descendaient de la plate-forme.
?Tu n'es pas trop fatigué, Llanga?... demanda John Cort, en prenant la main du petit gar?on.
-- Non... non!... bonnes jambes... et aime bien à courir, répondit Llanga, qui souriait des lèvres et des yeux à John Cort comme à Max Huber.
-- Maintenant, il est temps de manger, dit ce dernier.
-- Manger... oui... mon ami Max!?
Puis, après avoir baisé les mains qui lui étaient tendues, il alla se mêler aux porteurs sous la ramure des grands arbres du tertre.
Si ce chariot ne servait qu'au transport du Portugais Urdax, de Khamis et de leurs deux compagnons, c'est que colis et charges d'ivoire étaient confiés au personnel de la caravane, -- une cinquantaine d'hommes, pour la plupart des noirs du Cameroun. Ils avaient déposé à terre les défenses d'éléphants et les caisses qui assuraient la nourriture quotidienne en dehors de ce que fournissait la chasse sur ces giboyeuses contrées de l'Oubanghi.
Ces noirs ne sont que des mercenaires, rompus à ce métier, et payés d'un assez haut prix, que permet de leur accorder le bénéfice de ces fructueuses expéditions. On peut même dire qu'ils n'ont jamais ?couvé leurs oeufs?, pour employer l'expression par laquelle on désigne les indigènes sédentaires. Habitués à porter dès l'enfance, ils porteront tant que leurs jambes ne leur feront pas défaut. Et, cependant, le métier est rude, quand il
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