Le village aérien | Page 2

Jules Verne
déroulait Max Huber. John Cort en profita pour lui dire:
?Alors vous comptiez trouver autre chose au cours de notre voyage?...
-- Oui, mon cher John.
-- De l'imprévu?...
-- Mieux que de l'imprévu, lequel, je le reconnais volontiers, ne nous a pas fait défaut...
-- De l'extraordinaire?...
-- C'est le mot, mon ami, et, pas une fois, pas une seule, je n'ai eu l'occasion de la jeter aux échos de la vieille Libye, cette énorme qualification de _portentosa Africa _due aux blagueurs classiques de l'Antiquité...
-- Allons, Max, je vois qu'une ame fran?aise est plus difficile à contenter...
-- Qu'une ame américaine... je l'avoue, John, si les souvenirs que vous emportez de notre campagne vous suffisent...
-- Amplement, Max.
-- Et si vous revenez content...
-- Content... surtout d'en revenir!
-- Et vous pensez que des gens qui liraient le récit de ce voyage s'écrieraient: ?Diable, voilà qui est curieux!?
-- Ils seraient exigeants, s'ils ne le criaient pas!
-- à mon avis, ils ne le seraient pas assez...
-- Et le seraient, sans doute, riposta John Cort, si nous avions terminé notre expédition dans l'estomac d'un lion ou dans le ventre d'un anthropophage de l'Oubanghi...
-- Non, John, non, et, sans aller jusqu'à ce genre de dénouement qui, d'ailleurs, n'est pas dénué d'un certain intérêt pour les lecteurs et même pour les lectrices, en votre ame et conscience, devant Dieu et devant les hommes, oseriez-vous jurer que nous ayons découvert et observé plus que n'avaient déjà observé et découvert nos devanciers dans l'Afrique centrale?...
-- Non, en effet, Max.
-- Eh bien, moi, j'espérais être plus favorisé...
-- Gourmand, qui prétend faire une vertu de sa gourmandise! répliqua John Cort. Pour mon compte, je me déclare repu, et je n'attendais pas de notre campagne plus qu'elle n'a donné...
-- C'est-à-dire rien, John.
-- D'ailleurs, Max, le voyage n'est pas encore terminé, et, pendant les cinq ou six semaines que nécessitera le parcours d'ici à Libreville...
-- Allons donc! s'écria Max Huber, un simple cheminement de caravane..., le trantran ordinaire des étapes... une promenade en diligence, comme au bon temps...
-- Qui sait?...? dit John Cort.
Cette fois, le chariot s'arrêta pour la halte du soir au bas d'un tertre couronné de cinq ou six beaux arbres, les seuls qui se montrassent sur cette vaste plaine, illuminée alors des feux du soleil couchant.
Il était sept heures du soir. Grace à la brièveté du crépuscule sous cette latitude du neuvième degré nord, la nuit ne tarderait pas à s'étendre. L'obscurité serait même profonde, car d'épais nuages allaient voiler le rayonnement stellaire, et le croissant de la lune venait de dispara?tre à l'horizon de l'ouest.
Le chariot, uniquement destiné au transport des voyageurs, ne contenait ni marchandises ni provisions. Que l'on se figure une sorte de wagon disposé sur quatre roues massives, et mis en mouvement par un attelage de six boeufs. à la partie antérieure s'ouvrait une porte. éclairé de petites fenêtres latérales, le wagon se divisait en deux chambres contigu?s que séparait une cloison. Celle du fond était réservée à deux jeunes gens de vingt- cinq à vingt-six ans, l'un américain, John Cort, l'autre fran?ais, Max Huber. Celle de l'avant était occupée par un trafiquant portugais nommé Urdax, et par le ?foreloper? nommé Khamis. Ce foreloper, -- c'est-à-dire l'homme qui ouvre la marche d'une caravane, -- était indigène du Cameroun et très entendu à ce difficile métier de guide à travers les br?lants espaces de l'Oubanghi.
Il va de soi que la construction de ce wagon-chariot ne laissait rien à reprendre au point de vue de la solidité. Après les épreuves de cette longue et pénible expédition, sa caisse en bon état, ses roues à peine usées au cercle de la jante, ses essieux ni fendus ni faussés, on e?t dit qu'il revenait d'une simple promenade de quinze à vingt lieues, alors que son parcours se chiffrait par plus de deux mille kilomètres.
Trois mois auparavant, ce véhicule avait quitté Libreville, la capitale du Congo fran?ais. De là, en suivant la direction de l'est, il s'était avancé sur les plaines de l'Oubanghi plus loin que le cours du Bahar-el-Abiad, l'un des tributaires qui versent leurs eaux dans le sud du lac Tchad.
C'est à l'un des principaux affluents de la rive droite du Congo ou Za?re que cette contrée doit son nom. Elle s'étend à l'est du Cameroun allemand, dont le gouverneur est le consul général d'Allemagne de l'Afrique occidentale, et elle ne saurait être actuellement délimitée par un trait précis sur les cartes, même les plus modernes. Si ce n'est pas le désert, -- un désert à végétation puissante, qui n'aurait aucun point de ressemblance avec le Sahara, -- c'est du moins une immense région, sur laquelle se disséminent des villages à grande distance les uns des autres. Les peuplades y guerroient sans cesse, s'asservissent ou s'entre- tuent, et s'y nourrissent encore de chair humaine, tels les Moubouttous, entre le bassin du Nil et celui du
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