Le sorcier de Meudon | Page 8

Éliphas Lévi
t��te des novices de c��ans, et je vois bien �� cette heure que le fr��re Paphnuce a raison lorsqu'il leur d��fend de vous parler.
--Eh bien! en cela m��me, mon p��re, pardon encore si je vous contredis, mais ce sont plut?t les novices qui me sugg��rent les pens��es que voil��. Et, par exemple, que faites-vous ici du petit fr��re Lubin? Ne vous semble-t-il pas s��raphique comme un d��mon, avec ses grands yeux malins, son nez fripon et sa bouche narquoise? Le beau mod��le d'aust��rit�� �� pr��senter aux femmes et aux filles! Je me donne au diable si toutes ne le lorgnent d��j��, et si les papas et les maris n'en ont une peur mortelle! M'est avis que vous donniez �� ce petit dr?le un cong�� bien en forme, et qu'il retourne aux champs labourer, et sous la chesnaie danser et faire sauter P��rotte ou Mathurine. Je les vois d'ici rougir, se jalouser et ��tre fi��res! Oh! les bonnes et saintes liesses du bon Dieu! et que tous les bons coeurs sont heureux d'��tre au monde! Voyez-vous la campagne toute baign��e de soleil et comme enivr��e de lumi��re? Entendez-vous chanter alternativement les grillons et les cornemuses? On chante, on danse, on chuchote sous la feuill��e; les vieux se ragaillardissent et parlent de leur jeune temps; les m��res rient de tout coeur �� leurs petits enfants, qui se roulent sur l'herbe ou leur grimpent sur les ��paules; les jeunes gens se cherchent et se coudoient sans en faire semblant, et le gar?on dit tout bas �� la jeune fille des petits mots qui la rendent toute heureuse et toute aise. Or, croyez-vous que Dieu ne soit pas alors comme les m��res, et ne regarde pas le bonheur de ses enfants avec amour? Moi, je vous dis que la m��re ��ternelle (c'est la divine Providence que les pa?ens appellent nature) se r��jouit plus que ses enfants quand ils se gaudissent. Voyez comme elle s'��panouit et comme elle rit de florissante beaut�� et de caressante lumi��re! Comme sa gaiet�� resplendit dans le ciel, s'��panche en fleurs et en feuillages, brille sur les joues qu'elle colore et circule dans les verres et dans les veines avec le bon petit vin d'Anjou! Vive Dieu! voil�� �� quel office ne manquera jamais fr��re Lubin, et je me fais garant de sa ferveur! Vous ��tes triste, mon p��re, et le tableau que je vous fais vous rappelle que nous sommes des moines.... Or bien donc, ne faisons pas aux autres ce qu'on n'e?t pas d? nous faire �� nous-m��mes, et renvoyez fr��re Lubin!
--Fr��re Lubin prononcera ses voeux le jour m��me de saint Fran?ois! dit une voix aigre et nazillarde en m��me temps que la porte du prieur s'ouvrait avec violence. C'��tait fr��re Paphnuce qui avait entendu la fin des propos de ma?tre Fran?ois.
Fr��re Fran?ois fit un profond salut au prieur, qui n'osa pas le lui rendre et qui ��tait tremblant comme un ��colier pris en d��faut; puis un nouveau salut �� fr��re Paphnuce qui ne lui r��pondit que par une affreuse grimace, et il se retira grave et pensif, en ��coutant machinalement la voix aigre du ma?tre des novices qui gourmandait sans doute le pauvre prieur aux besicles, et lui faisait comprendre la n��cessit�� urgente d'avancer d'une ann��e, malgr�� sa promesse formelle, la profession de fr��re Lubin.

III
MARJOLAINE
Cependant l'office des moines termin��, tandis que deux ou trois bonnes vieilles achevaient leurs paten?tres, non sans remuer le menton, comme si lui et leur nez se fussent mutuellement port�� un d��fi, une gentille et blonde petite jouvencelle de dix-sept ans restait aussi bien d��votement devant sa chaise, agenouill��e, et relevait de temps en temps ses grands yeux baiss��s pour regarder du c?t�� de l'autel. Elle ��tait ros�� comme un ch��rubin et avait les yeux bleus et doux comme les doit avoir la Vierge Marie elle-m��me; toutefois, dans cette douceur, ��tincelait je ne sais quelle na?ve mais toute f��minine malice: telle je me repr��senterais volontiers madame Eve, pr��te �� mordre au fruit d��fendu, sans croire elle-m��me qu'elle y touche: nature, h��las! a tant par sa propre faiblesse de propensions au p��ch��!
Or, si jamais p��ch��s peuvent ��tre mignons et jolis, tels devront ��tre sans contredit les tendres p��ch��s de Marjolaine. Marjolaine est la fille du brave Guillaume, le closier de la Chesnaie; sa m��re en raffole, tant elle la trouve gentille; et le papa, qui ne dit pas tout ce qu'il en pense, se compla?t �� entendre et voir raffoler la maman. Tout le monde s'��baudit dans la maison au sourire de Marjolaine, et si elle a l'air de bouder, toute la maison est chagrine. C'est sa petite moue qui fait les nuages et ses yeux qui font le soleil; elle est reine dans la closerie: aussi sa jupe est-elle toujours proprette et ses coiffes toujours banchettes; sa taille fine est serr��e dans un
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