Le sorcier de Meudon | Page 9

Éliphas Lévi
corsage de surcot bleu, et quand, pendant la semaine, elle vient �� l'��glise des fr��res, elle a toujours l'air d'��tre endimanch��e. Personne pourtant ne se moque d'elle; elle est si mignonne et si gentille! et puis d'ailleurs les fillettes des environs auraient bien tort d'��tre jalouses, Marjolaine ne va jamais �� la danse, Et les amoureux, d��j�� ��conduits plus d'une fois, n'osent d��j�� plus lui parler. Elle ne se pla?t qu'�� la messe o�� �� v��pres, pourvu que ce soit dans l'��glise des moines; et pourtant elle n'a pas la mine triste d'une d��vote ni l'oeil pudibond d'une scrupuleuse. Pourquoi donc, non contente de l'office qui vient de finir, est-elle �� genoux la derni��re, lorsque les vieilles elles-m��mes font un signe de croix et s'en vont?
Allons, gentille Marjolaine, levez-vous; voici fr��re Lubiri qui vient ranger les chaises, car c'est son tour aujourd'hui de balayer le saint lieu; il s'arr��te pr��s de la jeune fille et semble craindre de la d��ranger; elle l��ve les yeux, ses regards ont rencontr�� ceux du novice, il va lui parler; mais il tourne d'abord la t��te pour voir si quelqu'un ne le regarde pas, et, �� l'entr��e de la grille du coeur il aper?oit fr��re Paphnuce!...
La jolie enfant fait son signe de croix et se l��ve; elle s'en va lentement et sans se retourner; mais, sur son banc, elle a oubli�� le livre d'heures de sa m��re. Fr��re Lubin s'en aper?oit, il prend le livre, puis semble ramasser �� terre et y remettre une image qui sans doute en ��tait tomb��e; puis candidement et les yeux baiss��s, il le rapporte �� Marjolaine, qui le re?oit avec une profonde r��v��rence.
Fr��re Paphnuce fait la grimace et fait signe �� fr��re Lubin de continuer son ouvrage; puis, s'approchant de Marjolaine:
--Jeune fille, lui dit-il d'un ton assez peu caressant, il ne faut pas rester dans l'��glise apr��s l'office; allez travailler pr��s de votre m��re afin que le d��mon de l'oisivet�� ne vous tente pas, et priez Dieu qu'il vous pardonne vos p��ch��s de coquetterie tant vous ��tes toujours pomponn��e et pinc��e comme une comtesse!
Ayant ainsi apostroph�� la jeune fille, fr��re Paphnuce lui tourna le dos, et elle s'en allait toute confuse, le coeur gros d'avoir ��t�� appel��e coquette; le fr��re Lubin se retourna pour la voir sortir, et elle aussi, pr��s de a porte, jeta en tapinois un regard �� fr��re Lubin qui devint rouge comme une fraise et qui se mit �� ranger l'��glise, s'��chauffant �� la besogne et n'avan?ant �� rien; car deux ou trois fois commen?ait-il la m��me chose et plus voulait-il para?tre tout occup�� des soins qu'il prenait, plus on e?t pu voir que sa pens��e ��tait ailleurs et que son coeur ��tait tout distrait et troubl��. Or, cependant s'en retournait �� petits pas, cheminant vers la closerie, Marjolaine la blonde, le long de la haie d'��glantiers, effeuillant de temps en temps sans y songer la pointe des jeunes branches et pr��tant l'oreille et le coeur aux oiseaux et �� ses pens��es, qui faisaient harmonieusement ensemble un concert de m��lodie et d'amour. La douce senteur des arbres fleuris et de l'herbe verte ajoutait �� la r��jouissance de l'air ti��de et resplendissant: Marjolaine marcha seule ainsi jusqu'au d��tour du clos de Martin, �� l'avenue qui commence entre deux grands poiriers; l��, bien s?re que personne ne pouvait la voir, elle ouvrit bien vite le gros livre d'heures et en tira, au lieu de l'image que fr��re Lubin ��tait cens�� y avoir remise, un petit papier soigneusement repli��, qu'elle ouvrit avec empressement et qui contenait ce qui suit:
?Fr��re Lubin �� Marjolaine,
?Je fais peut-��tre bien mal de t'��crire encore, Marjolaine, et pourtant mon coeur me ferait des reproches et ne serait pas tranquille si je ne t'��crivais pas. Mon coeur et aussi, ce me semble, la loi du bon Dieu, veulent �� la fois que je t'aime, et la r��gle du couvent me d��fend de penser �� toi, comme si de ceux qu'on aime la pens��e ne nous occupait pas sans qu'on y songe et tout naturellement. Depuis bient?t quinze ans, je pense, nous nous aimons: car tu m'appelais ton petit mari lorsque nous avions quatre ou cinq ans; croiras-tu que je pleure quelquefois quand j'y pense? Oh! c'est que je t'aimais bien, vois-tu, ma pauvre Marjolaine, lorsque nous ��tions tous petits! pourquoi avons-nous ��t�� s��par��s si jeunes? il me semble que nous serions rest��s enfants toujours, si nous ��tions rest��s ensemble! Et maintenant que nous avons grandi tristement, chacun tout seul, fr��re Paphnuce pr��tend que c'est mal de nous regarder et qu'il ne faut plus s'aimer lorsqu'on est grand. Eh bien! moi, c'est tout le contraire; il me semble que je l'aime maintenant plus que jamais! Combien je suis content lorsque je viens tard au choeur et que par p��nitence on me fait rester apr��s les autres
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