Le sorcier de Meudon | Page 7

Éliphas Lévi
crois bonne. Vous voyez bien que j'avais raison.
--Accusez-vous de songer �� la raison, quand vous ne devriez tenir compte que de la foi!
--Je m'accuse d'avoir raison, fit ma?tre Fran?ois avec une humilit�� comique et en se frappant la poitrine.
--Accusez-vous aussi de toute votre science diabolique, ajouta le p��re; car ce sont vos ��tudes continuelles qui vous ��loignent de la religion.
--Je m'accuse de n'��tre pas assez ignorant, reprit ma?tre Fran?ois de la m��me mani��re.
--Et dites-moi, continua le prieur qui s'animait peu �� peu, comment faites-vous pour ��viter les distractions pendant vos pri��res?
--Je ne prie pas quand je me sens distrait.
--Mais si la cloche sonne la pri��re et vous oblige d'aller au choeur?
--Alors je ne suis pas responsable de mes distractions, ou plut?t je ne suis pas distrait; c'est la cloche qui est distraite et l'office qui vient hors de propos.
--J��sus, mon Dieu! qui a jamais ou? pareil langage sortir de la bouche d'un moine! mais, mon cher enfant, je vous assure que vous avez l'esprit faux, accusez-vous-en.
--Mon p��re, il est ��crit: Faux t��moignage ne diras ni mentiras aucunement! Euss��-je en effet l'esprit faux et le jugement boiteux, point ne devrais m'en accuser: autant vaudrait-il vous faire un crime �� vous, mon bon p��re, de ce que votre nez (soit dit sans reproche) est un peu... comme qui dirait l��g��rement camard.
(Ici le prieur se rebiffe et laisse tomber ses besicles qui, par bonheur, ne sont point cass��es.)
--Tenez, poursuit fr��re Fran?ois, �� quoi bon nous emberlucoquer l'entendement pour nous trouver coupables? Ne devons-nous pas suivre en tout les pr��ceptes du divin Ma?tre? et ne nous a-t-il pas dit qu'il fallait recevoir le royaume de Dieu, comme bons et na?fs petits enfants, avec calme et simplicit��? Or, pourquoi, je vous prie, les petits enfants sont-ils de tout le monde estim��s heureux, et �� nous par le Sauveur pour mod��les propos��s comme beaux petits anges d'innocence? Les petits enfants disent-ils le br��viaire, et le pourraient-ils d'un bout �� l'autre r��citer sans distraction? Aiment-ils les longues oraisons et le je?ne? Prennent-ils la discipline? Tant s'en faut; qu'au contraire ils prient et supplient en pleurant �� chaudes larmes et �� mains jointes pour qu'on ne leur donne point le fouet, et conviennent alors volontiers qu'ils ont p��ch��; ce qui est de leur part un premier mensonge, car ils n'en ont pas conscience. Mais d'o�� vient, je vous prie encore, qu'ils sont appel��s innocents? H��las! c'est que tout doucement et bonnement ils suivent la pente de nature, ne se reprochant rien de ce qui leur a fait plaisir, et ne discernant le bien du mal que par l'attrait ou la douleur. Apprendre la confession aux enfants, c'est leur enseigner le p��ch�� et leur ?ter leur innocence. Et voulez-vous que je vous dise le fond de ma pens��e? Je crois que les novices du couvent sont bien plus agit��s des reproches de leur conscience, bien plus poursuivis de pens��es impures, bien moins simples et moins candides que la jeunesse de la campagne, qui vit au jour le jour et point n'y songe, n'examinant jamais sa conscience, d'autant c le la conscience d'elle m��me nous avertit assez quand quelque chose lui d��pla?t, laissant couler sans les compter les flots du ruisseau et les jours de la jeunesse, tant?t laborieuse, tant?t joyeuse, quand il pla?t �� Dieu, amoureuse: on se marie et point d'offense; les petits enfants viendront �� bien: puis quand Dieu voudra nous rappeler �� lui, qu'il nous appelle: nous le craindrons bien moins encore �� la fin qu'au commencement, nous ��tant habitu��s �� l'aimer et �� nous confier �� lui. Je vous le demande, mon p��re, n'est ce pas l�� le meilleur, et le plus facile, et le plus assur�� chemin pour aller bellement au ciel?
Le p��re prieur ne r��pondit rien; il paraissait songer et r��fl��chir profond��ment, tout en frottant le verre de ses lunettes avec le bout de son scapulaire.
--Or sus, mon p��re, poursuivit ma?tre Fran?ois, confessons-nous, je le veux bien; confessons-nous l'un �� l'autre, et r��ciproquement accusons-nous, non pas d'��tre hommes et d'avoir les faiblesses de l'homme, car tels Dieu nous a faits et tels devons-nous ��tre pour ��tre bien; accusons-nous de vouloir sans cesse changer et perfectionner l'ouvrage du Cr��ateur, accusons-nous d'��tre des moines; cartels nous sommes-nous faits nous-m��mes, et devons-nous r��pondre de tous les vices, de toutes les imperfections, de tous les ridicules qu'entra?ne cet ��tat oppos�� au voeu de la nature. Certes je dis tout ceci sans porter atteinte au m��rite surnaturel du s��raphique saint Fran?ois: mais plus sa vertu a ��t�� divine, moins elle a ��t�� humaine. Et n'est-ce pas grande folie de pr��tendre imiter ce qui est au-dessus de la port��e des hommes? Tous ces grands saints n'ont eu qu'un tort, c'est d'avoir laiss�� des disciples.
--Quelle impi��t��! s'��cria le prieur en joignant les mains. Voil�� de quelles billeves��es vous repaissez la
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