Le sorcier de Meudon | Page 2

Éliphas Lévi
de rien, ne se passionne pour rien de douteux et de transitoire, observe tranquillement la nature, aime, sourit, console et ne dit rien. Rien; j'entends rien de trop, comme il ��tait recommand�� par les sages hi��rophantes aux initi��s de la haute doctrine des mages. Savoir se taire, c'est la science des sciences, et c'est pour cela que ma?tre Fran?ois ne se donna, de son temps, ni pour un r��formateur, ni surtout pour un magicien, lui qui savait si parfaitement entendre et si profond��ment sentir cette merveilleuse et silencieuse musique des harmonies secr��tes de la nature. Si vous ��tes aussi habile que vous voudriez le faire croire, disent volontiers les gobe-mouches et les badauds, surprenez-nous, amusez-nous, escamotez la muscade mieux que pas un, plantez des arbres dans le ciel, marchez la t��te en bas, ferrez les cigales, faites le?on de grimoire aux oisons brid��s, plantez ronces et r��coltez roses, semez figues et cueillez raisins... Allons, qui vous retarde, qui vous arr��te? On ne br?le plus maintenant les enchanteurs, on se contente de les baffouer, de les injurier, de les appeler charlatans, affronteurs, saltimbanques. Vous pouvez, sans rien craindre, d��placer les ��toiles, faire danser la lune, moucher la bougie du soleil. Si ce que vous op��rez est vraiment prodigieux, impossible, incroyable... eh bien! que risquez-vous? M��me apr��s l'avoir vu, m��me en le voyant encore, on ne le croira pas.
Pour qui nous prenez-vous? Sommes-nous cruches? sommes-nous b��tes? Ne lisons-nous pas les comptes rendus de l'Acad��mie des sciences? Voil�� comment on d��fie les initi��s aux sciences occultes, et, certes, il faut convenir qu'il doit y avoir presse pour satisfaire ces beaux messieurs. Ils ont raison pourtant, ils sont trop paresseux pour venir �� nous, ils veulent nous faire aller �� eux, et nous trouvons si bonne cette mani��re de faire que nous voulons leur rendre en tout la pareille. Nous n'irons point, viendra qui voudra!
Dans le m��me si��cle v��curent deux hommes de bien, deux grands savants deux encyclop��dies parlantes, pr��tres tous deux d'ailleurs et bons hommes au demeurant. L'un ��tait notre Rabelais et l'autre se nommait Guillaume Postel. Ce dernier laissa entrevoir �� ses contemporains qu'il ��tait grand kabbaliste, sachant l'h��breu primitif, traduisant le sohar et retrouvant la clef des choses cach��es depuis le commencement du monde.
Oh! bonhomme, si depuis si longtemps elles sont cach��es, ne soup?onnez-vous pas qu'il doit y avoir quelque raison p��remptoire pour qu'elles le soient? Et croyez-vous nous avancer beaucoup en nous offrant la clef d'une porte condamn��e depuis six mille ans? Aussi Postel fut-il jug�� maniaque, hypocondriaque, m��lancolique, lunatique et presque h��r��tique, et voyagea-t-il �� travers le monde, pauvre, honni, contrari��, calomni��, tandis que ma?tre Fran?ois, apr��s avoir ��chapp�� aux moines ses confr��res, apr��s avoir fait rire le pape, doucement vient �� Meudon, choy�� des grands, aim�� du peuple, gu��rissant les pauvres, instruisant les enfants, soignant sa cure et buvant frais, ce qu'il recommande particuli��rement aux th��ologiens et aux philosophes comme un rem��de souverain contre les maladies du cerveau.
Est-ce �� dire que Rabelais, l'homme le plus docte de son temps, ignorat la kabbale, l'astrologie, la chimie herm��tique, la m��decine occulte et toutes les autres parties de la haute science des anciens mages? Vous ne le croirez, certes, pas, si vous consid��rez surtout que le Gargantua et le Pantagruel sont livres de parfait occultisme, o�� sous des symboles aussi grotesques, mais moins tristes que les diableries du moyen age, se cachent tous les secrets du bien penser et du bien vivre, ce qui constitue la vraie base de la haute magie comme en conviennent tous les grands ma?tres.
Le docte abb�� Trith��me, qui fut le professeur de magie du pauvre Corn��lius Agrippa, en savait cent fois plus que son ��l��ve; mais il savait se taire et remplissait en bon religieux tous les devoirs de son ��tat, tandis qu'Agrippa faisait grand bruit de ses horoscopes, de ses talismans, de ses manches �� balais tr��s-peu diaboliques au fond, de ses recettes imaginaires, de ses transmutations fantastiques; aussi le disciple aventureux et vantard ��tait-il mis �� l'index par tous les bons chr��tiens; les badauds le prenaient au s��rieux et tr��s-certainement l'eussent br?l�� du plus grand coeur. S'il voyageait, c'��tait en compagnie de B��elz��buth; s'il payait dans les auberges, c'��tait avec des pi��ces d'argent qui se changeaient en feuilles de bouleau. Il avait deux chiens noirs, ce ne pouvaient ��tre que deux grands diables d��guis��s; s'il fut riche quelquefois, c'est que Satan garnissait son escarcelle. Il mourut, enfin, pauvre dans un h?pital, juste chatiment de ses m��faits. On ne l'appelait que l'archisorcier, et les petits livres niais de fausse magie noire qu'on vend encore en cachette aux malins de la campagne, sont invariablement tir��s des oeuvres du grand Agrippa.
Ami lecteur, �� quoi tend ce pr��ambule? c'est tout bonnement �� vous dire que l'auteur de ce petit livre, apr��s avoir ��tudi�� �� fond les sciences de
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