Le songe dune nuit dété | Page 8

Shakespeare Apocrypha
ou sur les plages de la mer, pour
danser nos rondes au sifflement des vents, que tu n'aies troublé nos jeux
de tes clameurs. Aussi les vents, qui nous faisaient entendre en vain
leur murmure, comme pour se venger, ont pompé de la mer des vapeurs
contagieuses, qui, venant à tomber sur les campagnes, ont tellement
enflé d'orgueil de misérables rivières qu'elles ont surmonté leurs bords.
Le boeuf a donc porté le joug en vain: le laboureur a perdu ses sueurs,
et le blé vert s'est gâté avant que le duvet eût revêtu le jeune épi. Les
parcs sont restés vides au milieu de la plaine submergée, et les
corbeaux s'engraissent de la mortalité des troupeaux: les jeux de
merelles[16] sont comblés de fange, et les jolis labyrinthes serpentant
sur la folâtre verdure ne peuvent plus se distinguer parce qu'on ne les
fréquente plus. Les mortels de l'espèce humaine[17] sont sevrés de
leurs fêtes d'hiver; il n'y a plus de chants, plus d'hymnes, plus de noëls
qui égayent les longues nuits.--Aussi la lune, cette souveraine des flots,
pâle de courroux, inonde l'air d'humides vapeurs, qui font pleuvoir les
maladies catarrhales[18]: et, au milieu de ce trouble des éléments, nous
voyons les saisons changer; les frimas, à la blanche chevelure, tomber
sur le tendre sein de la rose vermeille; le vieux hiver étale, comme par
dérision, autour de son menton et de sa tête glacée, une guirlande de
tendres boutons de fleurs. Le printemps, l'été, le fertile automne, l'hiver
chagrin, échangent leur livrée ordinaire; et le monde étonné ne peut
plus les distinguer par leurs productions. Toute cette série de maux
provient de nos débats et de nos dissensions; c'est nous qui en sommes
les auteurs et la source.
[Note 16: Jeu de merelles, figure composée de plusieurs carrés que les
bergers ou les enfants tracent sur le gazon.]

[Note 17: Il y a dans le texte human mortals: cette épithète, qui semble
redondante, sert à marquer la différence entre les hommes et les fées.
Celles-ci ne font pas partie de l'humanité, quoique soumises à la mort
comme les hommes.]
[Note 18: Observation juste sur la constitution médicale de
l'atmosphère.]
OBERON.--Eh bien! réformez ces désordres; cela dépend de vous.
Pourquoi Titania contrarierait-elle son Oberon? Je ne lui demande
qu'un petit garçon, pour en faire mon page d'honneur[19].
[Note 19: Page d'honneur, place de cour abolie par Élisabeth; le
henchman des highlanders était leur échanson.]
TITANIA.--Mettez votre coeur en repos. Tout le royaume des fées
n'achèterait pas de moi cet enfant: sa mère était initiée à mes mystères;
et maintes fois la nuit, dans l'air parfumé de l'Inde, elle a bavardé
auprès de moi; maintes fois, assise à mes côtés sur les sables dorés de
Neptune, elle observait les commerçants embarqués sur les flots. Après
que nous avions ri de voir les voiles s'enfler, et s'arrondir sous les
caresses du vent, elle se mettait à vouloir les imiter, et d'une démarche
gracieuse et balancée, poussant en avant son ventre, riche alors de mon
jeune écuyer, comme un vaisseau voguant sur la plaine, elle m'allait
chercher des bagatelles, pour revenir ensuite à moi, comme d'un long
voyage, chargée d'une précieuse cargaison. Mais l'infortunée étant
mortelle, est morte en donnant la vie à ce jeune enfant, que j'élève pour
l'amour d'elle; c'est pour l'amour de sa mère que je ne veux pas me
séparer de lui.
OBERON.--Combien de temps vous proposez-vous de rester dans le
bois?
TITANIA.--Peut-être jusqu'après le jour des noces de Thésée. Si vous
voulez vous mêler patiemment à nos rondes, et assister à nos ébats au
clair de la lune, venez avec nous; sinon, évitez-moi, et je ne troublerai
pas vos retraites.

OBERON.--Donnez-moi cet enfant, et je suis prêt à vous suivre.
TITANIA.--Pas pour votre royaume.--Allons, fées, partons. Nous
passerons toute la nuit à quereller, si je reste plus longtemps. (Titania
sort avec sa suite.)
OBERON.--Eh bien! va, poursuis; mais tu ne sortiras pas de ce bosquet
que je ne t'aie tourmentée, pour me venger de cet outrage.--Mon gentil
Puck, approche ici. Tu te souviens d'un jour où j'étais assis sur un
promontoire, et que j'entendis une sirène, portée sur le dos d'un dauphin,
proférer des sons si doux et si harmonieux, que la mer courroucée
s'apaisa aux accents de sa voix, et maintes étoiles transportées
s'élancèrent de leur sphère pour entendre la musique de cette fille de
l'Océan?
PUCK.--Oui, je m'en souviens.
OBERON.--Eh bien! dans le temps, je vis (mais tu ne pus le voir, toi)
Cupidon tout armé[20] voler entre la froide lune et la terre: il visa au
coeur d'une charmante Vestale, assise sur un trône d'Occident; il
décocha de son arc un trait d'amour bien acéré, comme s'il eût voulu
percer d'un seul coup cent mille coeurs. Mais je vis la flèche
enflammée du jeune Cupidon s'éteindre dans les
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