humides rayons de la
chaste lune, et la prêtresse couronnée, le coeur libre, continua sa
marche, plongée dans ses pensées virginales[21]. Je remarquai où vint
tomber le trait de Cupidon; il tomba sur une petite fleur
d'Occident.--Auparavant elle était blanche comme le lait, depuis elle est
pourpre par la blessure de l'amour; et les jeunes filles l'appellent
pensée[22]: va me chercher cette fleur. Je te l'ai montrée une fois. Son
suc, exprimé sur les paupières endormies d'un homme ou d'une femme,
les rend amoureux fous de la première créature vivante qui s'offre à
leurs regards. Apporte-moi cette fleur, et sois revenu ici avant que le
Léviathan ait pu nager une lieue.
[Note 20: O Maraviglia! Amor ch'a pena è nato Gia grande vola, gia
triunfa armato.]
[Note 21: Compliment à Élisabeth; ce sont les vers que dans le roman
de Kenilworth la reine se fait répéter par W. Raleigh.]
[Note 22: On l'appelle aussi Love in idleness, l'amour oisif, ou l'oeil du
coeur, herbe de la trinité. C'est la Viola tricolor de Linnée, syngénésie
monogame.]
PUCK.--J'entourerai d'une ceinture le globe de la terre en quarante
minutes. (Il sort.)
OBERON.--Lorsqu'une fois j'aurai le suc de cette plante, j'épierai
l'instant où Titania sera endormie, et j'en laisserai tomber une goutte sur
ses yeux. Le premier objet qu'ils verront à son réveil, fût-ce un lion, un
ours, un loup, un taureau, une guenon curieuse ou un singe affairé, elle
le poursuivra avec un coeur plein d'amour; et avant que j'ôte ce charme
de sa vue, ce que je peux faire avec une autre plante, je l'obligerai à me
céder son page. Mais qui vient en ces lieux? Je suis invisible[23], et je
veux entendre leur entretien.
[Note 23: On remarquera peut-être que Puck et Oberon parlent souvent
sur la scène sans qu'on ait fait mention de leur entrée. Invisibles ou
visibles à leur gré, ils semblent s'affranchir eux-mêmes des lois de la
scène.]
SCÈNE III
OBERON invisible; DÉMÉTRIUS, et HÉLÈNE qui le suit. TITANIA
_arrive avec sa cour_.
DÉMÉTRIUS.--Je ne vous aime point; ainsi, cessez de me poursuivre.
Où est Lysandre, et la belle Hermia? Je tuerai l'un; l'autre me tue. Vous
m'avez dit qu'ils s'étaient sauvés dans le bois; m'y voilà, dans le bois, et
je suis furieux de n'y pouvoir trouver Hermia. Laissez-moi;
éloignez-vous, et ne me suivez plus.
HÉLÈNE.--Vous m'attirez à vous, coeur dur comme le diamant, mais
ce n'est point un coeur de fer que vous attirez, car le mien est fidèle
comme l'acier: perdez la force d'attirer, je n'aurai plus celle de vous
suivre.
DÉMÉTRIUS.--Est-ce que je vous sollicite? est-ce que je vous abuse
par de douces paroles, ou plutôt ne vous ai-je pas dit la vérité nue, je ne
vous aime point, je ne puis vous aimer?
HÉLÈNE.--Et je ne vous en aime que davantage. Je suis votre épagneul:
plus vous me maltraiterez, Démétrius, et plus je vous caresserai.
Traitez-moi seulement comme votre épagneul: rebutez-moi,
frappez-moi, négligez-moi, égarez-moi; mais du moins, accordez-moi,
quelque indigne que je sois, la permission de vous suivre. Quelle place
plus humble dans votre amour puis-je implorer? Et ce serait encore
pour moi une faveur d'un prix inestimable, que le privilége d'être traitée
comme vous traitez votre chien.
DÉMÉTRIUS.--Ne provoquez pas trop la haine de mon âme; je suis
malade quand je vous vois.
HÉLÈNE.--Et moi, je le suis quand je ne vous vois pas.
DÉMÉTRIUS.--Vous compromettez trop votre pudeur, en quittant
ainsi la ville, vous livrant seule à la merci d'un homme qui ne vous
aime point, exposé aux dangers de la nuit et aux mauvais conseils d'un
lieu désert, avec le riche trésor de votre virginité.
HÉLÈNE.--Votre vertu est ma sauvegarde; il n'est plus nuit quand je
vois votre visage; je ne crois donc plus être alors dans les ténèbres: ce
bois n'est point une solitude pour moi; avec vous, j'y trouve tout
l'univers: comment donc pouvez-vous dire que je suis seule, quand le
monde entier est ici pour me regarder?
DÉMÉTRIUS.--Je vais m'enfuir loin de vous, et me cacher dans les
fougères, vous laissant à la merci des bêtes féroces.
HÉLÈNE.--La plus féroce n'a pas un coeur aussi cruel que le vôtre.
Fuyez où vous voudrez; l'histoire changera seulement: c'est Apollon qui
fuit, et c'est Daphné qui poursuit Apollon! la colombe poursuit le milan;
la douce biche hâte sa course pour atteindre le tigre: hâte inutile quand
c'est la timidité qui poursuit et le courage qui s'enfuit.
DÉMÉTRIUS.--Je ne m'arrêterai plus à écouter vos discours.
Laissez-moi m'en aller; ou, si vous me suivez, craignez de moi quelque
outrage dans l'épaisseur du bois.
HÉLÈNE.--Hélas! dans le temple, dans la ville, dans les champs,
partout vous m'outragez. Fi! Démétrius, vos affronts jettent un
opprobre sur mon sexe; nous ne pouvons, comme les hommes,
combattre pour l'amour. Nous devrions être courtisées, et nous n'avons
pas
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