Le sergent Renaud | Page 2

Pierre Sales
Mais la grand'mère l'entra?nait, lui donnait une bougie.
--Couche-toi, vite.
--Et toi?
--Je te rejoins, tout de suite.
--Bonne nuit, maman Renaud.
Elle l'appelait souvent ainsi, dans leur intimité si douce! Elle avait d? donner un nom à chacune de ses mères; car, pendant longtemps, elle avait cru, bien réellement, qu'elle en avait deux, l'une jeune, jolie, presque une camarade pour elle, ?petite mère!? Mais cette petite mère était morte de chagrin: elle était allée rejoindre son mari. Et il ne restait à la jeune fille que sa seconde mère, ?maman Renaud?.
Quand la porte se fut refermée sur la jeune fille, la grand'mère y colla son oreille. Elle entendit un sanglot qui éclatait avec d'autant plus de violence qu'il avait été contenu toute la soirée. Et elle-même sentit de grosses larmes couler sur ses joues. Et elle se mit à marcher dans la pièce, d'un pas agité. Mais bient?t, elle ne pleurait plus. Tout à l'heure, elle avait été attendrie par la douleur de sa chérie; en ce moment, elle était toute à sa colère, à son indignation...
--Il l'abandonne, c'est certain!... Et pourtant, moi, si défiante, moi qui avais peur pour elle de tous les hommes, j'avais eu confiance en ce Jean Berthier!... Comme si mon expérience ne m'avait pas appris que tous les hommes sont des trompeurs!.. Tous? Non, pas tous!...
Elle s'arrêtait sous le portrait d'officier, une reproduction agrandie, très pale, d'une ancienne photographie:
--Tu ne l'étais pas, toi, mon fils!
Elle contempla longuement ce portrait, fait à la sortie de Saint-Cyr, qui lui montrait son fils dans son costume de sous-lieutenant. Elle le voyait si beau, si noble, si brave!
--Ah! si tu étais encore là, toi! on n'aurait pas osé l'abandonner ainsi!... Et moi, mon Dieu! Moi qui ai laissé s'enraciner cet amour dans son coeur!... O mon fils, pardon!
Elle leva ses mains vers le portrait. Puis elle rangea la pièce. Et elle regagna enfin la chambre où elles couchaient toutes les deux, où leurs lits étaient rangés c?te à c?te, comme dans un dortoir, où elles avaient été si heureuses... avant!
Les soirs précédents, Marie ne s'endormait qu'avec peine; mais, ce soir-là, la fatigue l'emportait: les émotions l'avaient brisée; elle dormait déjà. La vieille se dévêtit bien doucement, de peur de l'éveiller; elle n'osa même pas l'embrasser, comme elle faisait toujours. Elle s'agenouilla seulement devant le lit et s'approcha pour la contempler. Les lèvres de Marie s'entr'ouvrirent bient?t et murmurèrent:
--Jean... Jean... Jean...
La vieille alors serra les poings, en murmurant:
--Le gueux! Il m'a volé son coeur!
* * * * *
Le lendemain, maman Renaud, qui cependant se levait de très bonne heure, vit sa petite fille déjà debout, vaquant aux soins du ménage. Le sommeil de Marie était devenu si léger qu'il suffisait des premières lueurs du jour pour l'éveiller. Son visage était, battu, ses yeux cernés; mais elle ne pleurait pas. Pendant toute la matinée, elle ne montra aucune faiblesse: elle avait le courage que donne une résolution prise. Dès le matin, en s'éveillant, elle s'était décidée à tenter une démarche suprême. Elle voulait à tout prix sortir de l'indécision. Elles travaillèrent activement. A midi, la commande était terminée.
--J'irai livrer, dit la grand'mère. Toi, tu te reposeras...
--Non, grand'mère; j'ai besoin de voir Mme Welher.
Vers deux heures, Marie partit, en effet, et refusa de se laisser accompagner. Elle alla livrer sa commande, s'attarda à peine dans le magasin de lingerie. Et, aussit?t après, elle se faisait conduire en voiture au boulevard Saint-Michel... devant une maison meublée, occupée par des étudiants.
Elle y était déjà venue, une seule fois, en secret, dans une cruelle circonstance, le jour où elle avait d? avouer à son ami qu'elle portait en son sein le fruit de leur amour. C'est, hélas! depuis ce jour qu'elle ne l'avait plus revu! Et cependant il lui avait juré de ne l'abandonner jamais, dans cette même chambre où elle allait l'implorer, non pas pour elle, mais pour le pauvre petit être qui tressaillait dans ses flancs... Elle se souvenait exactement du numéro de cette chambre, située au premier étage; elle y monta bravement et frappa. Ne recevant pas de réponse, elle frappa encore.
En ce moment, une voix cria d'en dessous:
--Qui demandez-vous?
Elle rougit violemment et ne répondit pas: elle avait honte de se montrer; mais le gar?on, qui avait la garde de la maison meublée, monta vivement au premier étage.
--Qui demandez-vous? répéta-t-il brusquement.
Le personnel des h?tels du quartier Latin a généralement peu de respect pour les femmes. Elle balbutia:
--Monsieur Jean Berthier?
Le gar?on chercha un instant; il se souvenait à peine. D'un geste timide, Marie montra la porte de la chambre.
--Ah! oui! fit-il, le numéro 2... oui... oui...
Il devenait soudain plus poli. Il avait re?u de si grosses étrennes du locataire de cette chambre!
--Attendez, mademoiselle!
Il descendit presque d'un bond et remonta avec la clef.
--Voici, mademoiselle, entrez donc.
Marie eut une seconde d'espoir.
--Il va venir bient?t? interrogea-t-elle en s'asseyant.
--Dame! Je pense...
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