fit le gar?on d'un air niais.
Puis, la dévisageant:
--Je me rappelle... C'est vous qui êtes venue, il y a un mois?
--Oui; mais dites-moi si M. Berthier rentrera bient?t?
--Ah! mademoiselle, il ne m'a pas prévenu; l'autre fois, il m'avait avisé la veille... on avait apporté des fleurs... Evidemment, il va venir, s'il vous a donné rendez-vous!
Et il souriait encore plus niaisement. Marie s'était mise à trembler. Elle entrevoyait une horrible réalité, un mensonge odieux. Est-ce que cette chambre n'était pas le véritable domicile de Jean?
--Il n'habite donc pas ici? pronon?a-t-elle fiévreusement.
--Naturellement, mademoiselle, puisqu'il n'a pris cette chambre que pour ses rendez-vous!
Il sembla à Marie que la maison s'écroulait sur elle; et elle s'affaissa dans un fauteuil, tandis que le gar?on allait voir si M. Jean Berthier n'arrivait pas. Elle comprenait qu'elle avait été indignement trahie. Mais, quand le domestique revint, pour dire qu'il avait regardé le boulevard dans toute sa longueur, et qu'il n'avait aper?u personne ressemblant à M. Jean Berthier, Marie était debout. Une paleur livide s'était répandue sur son visage; mais elle résistait à ses larmes. Elle donna cinq francs au domestique.
--Voudriez-vous porter une lettre chez M. Jean Berthier?
--Ce serait avec plaisir, mademoiselle, dit-il, empochant la pièce; mais nous ignorons son adresse...
--Bien, dit Marie, semblant toujours très calme, bien; je reviendrai une autre fois.
Et elle se dirigea vers la porte.
--Mais si, par hasard, M. Berthier passait par ici, avant que vous l'ayez vu, que faudrait-il lui dire, mademoiselle?
--Rien!
Elle pronon?a ce: ?Rien!? d'une voix mourante. Qu'aurait-elle à dire, en effet, à cet homme qu'elle avait tant aimé et qui avait si abominablement abusé d'elle? A chaque marche de l'escalier, elle dut s'arrêter et respirer un peu. Le domestique la suivait, avec le respect d'un homme bien payé.
Marie faillit tomber en traversant le trottoir, assez large en cet endroit. Le gar?on ouvrit la portière de sa voiture et dut la soutenir pour la faire monter.
--Où faut-il conduire mademoiselle?
--Place des Vosges, balbutia-t-elle.
Et la voiture se fut à peine ébranlée qu'elle s'affalait sur les coussins, pleurant à grands sanglots et bégayant:
--Oh!... Jean... Jean... Mon adoré... Toi! Avoir fait cela!...
Quand la voiture arriva place des Vosges, elle pleurait encore.
[Illustration: A chaque marche de l'escalier elle dut s'arrêter et respirer un peu. (Page 8.)]
--Quel numéro? demanda le cocher.
Elle descendit à l'entrée de la rue de Birague, ne voulant pas que sa grand'mère la v?t arriver en voiture. Elle se tra?na jusqu'au jardin, s'assit sur un banc entouré de verdure. Et elle pleura encore.
Enfin, songeant à sa grand'mère, elle regagna sa maison.
Maman Renaud n'osa pas lui dire combien elle avait été inquiète; elle demanda seulement, lui voyant les mains vides:
--Tu ne rapportes pas d'ouvrage de chez Mme Welher?
--Non, rien, grand'mère! Je dois y retourner demain...
--Et... pas de lettre en bas?
--Non, pas de lettre, pronon?a Marie avec un étrange sourire.
--Ce sera pour ce soir... ou pour demain dit la grand'mère affectant un air tranquille.
--Non, maman Renaud, ni ce soir, ni demain... ni jamais!
C'était la première fois qu'elles parlaient si franchement de l'abandon de Jean. La grand'mère se mit à dresser la la table pour le d?ner. Marie s'assit auprès de la fenêtre, regardant dans le vague. Leur repas fut bien triste, bien silencieux. Marie ne mangeait que pour obéir à sa grand'mère. Et la grand'mère prolongeait le repas: elle avait peur de cette soirée qu'elles allaient passer, en face l'une de l'autre, sans un travail pressé qui p?t les distraire de leur douleur.
Cependant, Marie s'installa ensuite à sa table, comme d'habitude, et rangea toutes ses fournitures, ses morceaux de mousseline, ses fines broderies, ses dentelles, une foule de choses qui lui restaient parfois sur ses commandes...
A neuf heures, maman Renaud descendit. Elle avait fixé sa dernière limite d'espoir à cette soirée: Jean allait leur écrire, s?rement, pour les rassurer, et expliquer sa conduite de la fa?on la plus naturelle.--Quand la concierge lui eut dit, d'un air un peu goguenard, que le facteur était passé et n'avait rien laissé pour elles, elle remonta lourdement. Tout était bien fini!
Elle pénétra sans rien dire dans le petit logement et contempla sa fille, qui leva à peine la tête pour lui sourire. Et aussit?t, Marie se remit à une besogne qu'elle avait entreprise: elle cousait de minces bandes de mousseline, séparées par des entre-deux de valenciennes. Puis, sur une mignonne forme de carton, elle posait son ouvrage, l'arrondissait et y ajoutait des ruches de dentelle, avec de petites bouffettes de ruban blanc, très étroit.
--Que fais-tu donc, petite?
--Un bonnet, maman Renaud.
Et, pour le garnir, elle cherchait fiévreusement dans ses provisions; elle ne trouvait rien d'assez beau.
--Qu'est-ce que c'est que ce bonnet?
--C'est un bonnet, maman Renaud.
Un sourire d'une exquise douceur se répandait peu à peu sur son visage, effa?ant les traces des larmes qu'elle avait versées. Elle travailla toute la soirée, et elle souriait toujours. Par moment, elle élevait le bonnet sur son poing,
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